Démocratie directe

Le peuple colombien et le peuple hongrois étaient appelés aux urnes ce dimanche pour une consultation sur d’importantes décisions d’orientation du pays. Pour les Colombiens, il s’agissait d’entériner l’accord de paix signé après d’interminables négociations entre le gouvernement et les FARC, mettant fin à une guérilla de plus de 50 ans, tandis que les Hongrois étaient invités à rejeter la décision de l’Union européenne d’accueillir un quota d’un millier de réfugiés en provenance des zones de guerre du Moyen-Orient. Dans les deux cas, il s’agissait de conforter la position officielle des autorités au pouvoir.

Et dans les deux cas, le peuple n’a pas suivi ses dirigeants. En Colombie, le non l’a emporté d’une infime majorité, et en Hongrie, le faible taux de participation, aux environs de 40 %, a invalidé le résultat, très favorable au gouvernement. Sans préjuger du bienfondé de ces consultations, force est de constater que ce genre de mésaventure devient fréquent. Nous avons encore en tête le non au référendum de 2005 sur la constitution européenne en France et aux Pays-Bas, et, plus récemment, le vote positif en faveur de la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union. Il est paradoxal de constater que les dirigeants, expression d’une légitimité démocratique représentative, sont régulièrement désavoués quand ils s’en remettent à la décision populaire. Tout se passe comme si les citoyens voulaient bien leur confier la gestion des affaires courantes, mais avaient tendance à ne pas leur faire confiance pour les décisions importantes. De quoi y réfléchir à deux fois avant de poser une question au peuple, qui semble voter contre celui qui en fait la demande, quel qu’il soit.

Le système démocratique des pays qui se veulent évolués démontre ainsi ses limites. À force d’éloignement des élites des peuples qui les ont désignées, la défiance s’installe durablement. Les dirigeants estiment que leur élection leur confère la toute-puissance, et pourquoi pas, l’infaillibilité. Comment s’étonner que les plébéiens, si on leur en donne l’occasion, s’en saisissent pour démontrer leur indépendance de pensée et de choix ? Ce faisant, ils exacerbent la tendance des professionnels de la politique à penser à leur place et à prendre des décisions selon leur sensibilité plus que dans l’intérêt général. Les verdicts populaires ne sont d’ailleurs pas par nature plus judicieux que les autres. Les questions sont souvent tronquées, biaisées, voire falsifiées et les campagnes faussées. Ce qui permet aux dirigeants de ne suivre les résultats que s’ils les arrangent, quitte à revenir par la fenêtre quand on les a mis à la porte. Un cercle vicieux s’il en est.