Du contrat social

L’information a été peu reprise dans les grands médias, peut-être parce que le support, une vidéo publiée sur le réseau social TikTok a paru le 1er avril dernier, et que les journalistes « sérieux » ont pu penser qu’il s’agissait d’un canular destiné à perpétuer une tradition en voie d’extinction. Pour alimenter une méfiance naturelle qui, pour le coup, serait pleinement justifiée, on peut citer le nom de l’expert interviewé par le Parisien, qui se présente comme Vincent Flibustier, patronyme un peu trop beau pour être authentique, formateur en citoyenneté numérique, coutumier de coups d’éclat et de parodies.

De quoi s’agit-il ? Lors d’un banal contrôle routier dans le Nord, un couple refuse d’obtempérer en déclarant, l’un comme l’autre, qu’ils ne « contractent » pas. Renseignements pris, ces personnes seraient des adeptes d’un mouvement qui se définit comme des « citoyens souverains » qui considèrent qu’ils sont libres de passer contrat avec la République française pour bénéficier de ses prestations, en échange de leur contribution volontaire au budget de l’état sous forme de taxes ou d’impôts, et en se soumettant aux lois et règlements en vigueur. En quelque sorte, ils s’appuient sur le raisonnement qui a permis à Jean-Jacques Rousseau, en publiant son essai philosophique « Du contrat social » en 1762, de jeter les prémisses d’une société plus juste et plus harmonieuse. Selon ces adeptes de ce qui se rapproche d’une secte, la république s’est transformée en une société privée, dont il serait donc légitime de se soustraire. Comme dans toute théorie du complot qui se respecte, le mouvement apporte la « preuve » de ce qu’il avance en insistant sur le fait, tout à fait exact, lui, que l’état possède depuis 1947 un numéro d’immatriculation, un Siret, comme n’importe quelle entreprise, utile en cas de litige, mais qui ne rend pas facultative ou optionnelle l’observation des lois du pays où l’on réside, ou dont on est citoyen.

À supposer que l’on puisse choisir individuellement l’autonomie intégrale, d’un point de vue pratique, ce serait évidemment très compliqué. Qu’on le veuille ou non, on appartient toujours à une communauté quelconque, même si l’on n’y trouve pas nécessairement son compte. Et comment gérer une société sans se mettre d’accord sur un nombre minimum de conditions, même et surtout si l’organisation du moment ne nous satisfait pas. Nous ne souffrons pas d’un excès de démocratie, quelles que soient ses imperfections, mais d’une insuffisance de justice sociale. Si un Français sur trois (35 %) se déclare pouvant croire à au moins une théorie du complot, voire plusieurs, ce n’est pas étonnant qu’il soit aussi capable de porter au pouvoir des marchands d’illusions et de selfies sous prétexte qu’on ne les aurait pas encore essayés.