Chacun pour soi

Et Dieu pour tous, telle était plus ou moins la devise de l’humanité depuis la nuit des temps. On aurait pu ajouter que la loi du plus fort était toujours la meilleure, si l’on considère que les vainqueurs ont toujours écrit ou réécrit l’histoire. Dieu lui-même était invité à choisir son camp et son clergé bénissait les armées dans un bel élan œcuménique, quitte à faire le tri après les batailles pour sanctifier les survivants. Cependant, après les grandes boucheries qu’ont constituées les deux guerres mondiales, les grandes puissances ont tenté de mettre en place des structures permettant de rendre les conflits un peu plus « civilisés ».

On se souvient de l’échec cuisant de la Société des Nations, créée à la suite de la 1re guerre mondiale en 1919 et dissoute en 1946 au profit d’une nouvelle instance, l’Organisation des Nations Unies, qui existe toujours, mais montre ses limites, faute d’un accord global sur sa légitimité et ses prises de position. Entre-temps, il y a eu la guerre froide, qui a permis de « geler » les positions des deux blocs issus de l’après-guerre, et d’empêcher l’extension de conflits plus localisés, souvent les soubresauts d’une décolonisation inévitable. Du fait même de son organisation, et compte tenu du droit de véto octroyé à certains pays, dont nous faisons partie, l’ONU s’est condamnée à subir l’impuissance et l’incapacité à régler les conflits entre ses états membres. Les résolutions de l’Assemblée générale demeurent lettre morte, car les pays visés se refusent à les appliquer, tandis que les discussions au Conseil de Sécurité n’aboutissent que très rarement à un accord à la faveur d’une abstention de l’un ou l’autre des membres permanents. En pratique, l’ONU n’est plus guère qu’une coquille vide, où l’on se contente de débattre, tandis que les décisions se prennent ailleurs.

Les deux conflits majeurs, Gaza et l’Ukraine sont suspendus à la position de l’administration américaine, qui marche sur des œufs en raison de la perspective électorale, qui pourrait ramener Donald Trump au pouvoir. Poutine joue clairement la montre en tablant sur un quitte ou double selon les résultats de l’élection de novembre prochain. Et Netanyahou est prêt à se battre jusqu’au dernier palestinien, sachant que l’allié américain, qu’il soit démocrate ou républicain, ne prendra jamais le risque de lui couper l’approvisionnement militaire dont il a besoin pour réprimer les soulèvements qu’il contribue à générer en refusant toute négociation en vue d’une paix durable. L’équilibre géostratégique de la planète est dépendant d’une poignée de citoyens américains qui peuvent faire basculer un état incertain dans un camp ou dans l’autre pour des raisons généralement très locales, ou pour un avantage à court terme. Nous sommes assez loin de l’idéal des mousquetaires, « un pour tous, tous pour un », qui aurait pu inspirer les instances à vocation universaliste pour essayer de régler pacifiquement les conflits.