Les charters de la honte

L’obstination du très conservateur Premier ministre anglais, Rishi Sunak, aura finalement eu raison de l’opposition pourtant peu révolutionnaire de la Chambre des Lords à son projet de loi permettant l’expulsion des migrants entrés illégalement au Royaume-Uni en direction du Rwanda, moyennant des sommes d’argent importantes, quelle que soit leur nationalité. Les Lords ont tout tenté pour bloquer le projet, mais ils ont fini par céder au diktat de la chambre des représentants, au motif qu’ils étaient démocratiquement élus, quand eux étaient nommés ou héritaient de leur charge. Cette loi controversée était pourtant largement condamnée par l’opinion internationale et jusqu’à l’assemblée de l’Organisation des Nations unies, dont le commissaire aux droits de l’homme considère qu’elle va à l’encontre des principes fondamentaux des droits humains.

L’opposition travailliste est également contre, naturellement, et même la Cour suprême anglaise a jugé le projet illégal en novembre dernier. Mais Sunak n’en démord pas. Les charters décolleront, coûte que coûte, dès que la loi sera promulguée. En plus du coût des vols et des subventions versées au Rwanda pour se débarrasser des migrants qui ont traversé la Manche au péril de leur vie, il va falloir mobiliser massivement des juges pour prononcer les mesures d’expulsion, ou plutôt de déportation, ainsi que mobiliser des places dans des centres de détention en attendant l’examen des demandes d’asile. Toute cette gesticulation, destinée à la publicité en faveur du gouvernement conservateur, n’aura de toute façon qu’un effet marginal sur les mouvements migratoires généraux. Quand les Anglais expulseront les migrants par centaines, les canots de sauvetage illégaux traverseront le détroit par milliers, l’attraction d’un Eldorado largement mythique étant plus forte que le risque d’y laisser sa peau. Il n’est pas encore certain que ces accords entre Londres et Kigali soient validés par l’ONU dans la mesure où le régime du président rwandais Paul Kagamé n’offre pas toutes les garanties d’une véritable démocratie, assurant une pluralité d’opinion et la liberté d’expression.

Pour nous, Français, le principe de ces charters renvoie à une période noire de notre histoire. En 1986, en pleine cohabitation entre le président Mitterrand et le Premier ministre de l’époque, Jacques Chirac, c’est un certain Charles Pasqua, de sinistre mémoire, qui est ministre de l’Intérieur, et il décide de renvoyer une centaine de Maliens dans leur pays d’origine en affrétant un avion charter pour Bamako. Le procédé a provoqué un tollé, mais il a fait des émules, Édith Cresson par exemple que l’on a connue mieux inspirée, et plus récemment Éric Zemmour lors de la dernière campagne présidentielle. L’avantage, pour les tenants de la manière forte, c’est de grouper les expulsions et éviter les manifestations de soutien des autres passagers ou même le refus des équipages dans certains cas. Il reste que le marchandage du Royaume-Uni avec le Rwanda a des relents de néo-colonialisme et il faut espérer qu’il ne fasse pas tache d’huile, voire tache tout court.