Constat d’échec

J’entendais dernièrement un reportage sur la situation alarmante des mineurs supposés devoir être protégés contre les aléas de la vie lorsque leur famille est absente ou défaillante. Les enfants sont souvent les premières victimes de situations qui les dépassent, et la société a mis en place des structures supposées leur venir en aide, sous la forme d’une aide sociale à l’enfance. Le texte fondateur de la politique sociale en faveur des mineurs, qui n’a jamais été abrogé, c’est l’ordonnance de 1945, une période où la situation des enfants était particulièrement dramatique, après la guerre et le nombre d’orphelins qui avait progressé de manière exponentielle.

Des faits-divers récents, la mort accidentelle d’un jeune enfant chutant d’un toit, ou le suicide d’une adolescente trimballée d’hôtels en foyers d’accueil, ont mis en évidence la grande précarité des prises en charge proposées pour répondre aux urgences. La situation était déjà difficile avant les années 2000, quand j’exerçais encore dans les écoles comme psychologue scolaire. J’ai la nette impression qu’elle s’est beaucoup aggravée. Les procédures administratives sont restées inchangées, mais les moyens se sont amenuisés. Les familles d’accueil, qui permettaient dans certains cas de proposer un cadre éducatif personnalisé répondant aux besoins matériels et affectifs des enfants « placés », font face à des difficultés importantes, pour une rémunération peu attractive. Beaucoup de ces familles faisaient un travail admirable, traitant les jeunes qui leur étaient confiés comme leurs propres enfants. Il semble que les conditions d’accueil se soient dégradées progressivement et qu’il devient difficile de trouver des familles candidates.

Ce qui m’est apparu comme un signe évident d’un échec global de la société, c’est lorsqu’un juge pour enfant, ayant décidé en son âme et conscience de la nécessité de prendre des mesures éducatives, soit pour soustraire temporairement un enfant à l’influence jugée néfaste de sa famille, soit pour aider une famille défaillante à maintenir le mineur à domicile moyennant un « suivi » par un éducateur dans un milieu dit ouvert, on soit contraint de notifier aux parents la procédure décidée, tout en leur précisant par écrit que la mesure ne serait pas appliquée « faute de moyens ! » Après cela, il faudrait cependant écouter sans broncher les grandes tirades ministérielles, qui se défaussent de leurs propres responsabilités en rejetant les fautes sur les parents, menacés de sanctions financières pour la conduite de leurs enfants alors qu’ils tirent déjà le diable par la queue. Au lieu de protéger les mineurs, y compris d’eux-mêmes, la seule réponse envisagée serait de durcir la répression en supprimant ou en amoindrissant l’excuse de minorité ? Ah ! non ! pardon, j’oubliais la cerise sur le gâteau, la sanction suprême qui va dissuader tous les cancres de contester l’ordre établi ou de passer aux actes de violence, vous l’aurez compris, je pense, l’inscription de leur comportement dans leur dossier de « Parcours sup ». On rêve.