
Un instant suspendu
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le mercredi 15 octobre 2025 11:18
- Écrit par Claude Séné

C’est celui où Sébastien Lecornu a prononcé les mots attendus par les députés socialistes, ceux de « suspension de la réforme des retraites » pour accepter de ne pas censurer le gouvernement, au moins immédiatement. Le Premier ministre a effectivement pris cet engagement, mais il l’a fait de manière suffisamment alambiquée pour introduire un court instant de doute sur le fait que cet engagement était sincère et fiable. Au point qu’aujourd’hui Marine Le Pen se pose publiquement la question d’une « vraie-fausse suspension » et réclame toujours une dissolution de l’Assemblée nationale pour servir ses propres intérêts.
Moi-même, en écoutant et en relisant le compte-rendu, j’ai eu besoin de toute mon attention pour écarter toute hypothèse d’une ultime manœuvre pour tenter de berner les Français. Les images parlent d’ailleurs d’elles-mêmes. On y voit un plan de coupe sur des députés socialistes entourant l’ancien président François Hollande, qui donnait le signal des applaudissements après un très court conciliabule, tandis que Boris Vallaud, qui préside le groupe à l’Assemblée nationale, observait un silence prudent. Après mûre réflexion, il n’y aurait pas d’anguille sous roche, même si chaque camp cultive ses arrière-pensées dans son arrière-boutique. À travers le discours du Premier ministre, on entend la voix de son maître, le président Macron, obligé de reculer en attendant de mieux sauter l’obstacle de la censure. De son côté, Olivier Faure se réserve la possibilité d’obtenir de nouvelles concessions budgétaires au fil des débats, en utilisant les mêmes moyens, qui ont si bien réussi, là où les mouvements populaires avaient échoué malgré des mobilisations massives.
L’instant qui a permis cette avancée était au croisement des agendas des différents acteurs de la vie publique. Il va permettre le débat parlementaire sur un projet de budget, pour l’instant dans les temps pour être adopté avant le 31 décembre, mais qui sera contraint par l’engagement de ne pas avoir recours au 49.3 il faudra une discipline consentie pour ne pas bloquer les discussions sous des montagnes d’amendements à des fins d’obstruction parlementaire. Il est déjà difficile de faire voter une motion de censure commune à des partis poursuivant des buts différents, qu’en sera-t-il des options économiques contradictoires sur beaucoup de sujets ? Un chef de l’état qui aurait conservé une cote de confiance largement partagée par l’opinion aurait déjà bien du mal à faire accepter des mesures visant à rétablir les équilibres fondamentaux. Alors la personnalité d’un président contesté, qui en est réduit à marchander le retrait d’une réforme qu’il défendait bec et ongles, pour ne pas être contraint à une démission humiliante et « sauver » sa fin de mandat en évitant le goudron et les plumes, ne laisse rien augurer de bon pour le pays.