Salauds de vieux !*

Et même, plus spécifiquement, salauds de retraités. Enfin, de retraités de la fonction publique, parce que les autres, leur retraite étant ce qu’elle est, ça fait belle lurette qu’ils ont compris qu’il leur faudrait se la payer s’ils avaient la chance de gagner correctement leur vie pendant leur période d’activité. Au moment où se débat le budget de la Nation pour 2026, ainsi que celui de la Sécurité sociale, revient comme un leitmotiv le serpent de mer du trésor caché détenu par les anciens, qu’il s’agit de rançonner au nom d’une soi-disant solidarité dont sont exemptés les plus fortunés.

L’imagination des économistes distingués pour ponctionner les classes moyennes me semble n’avoir aucune limite, avec cependant de grands classiques. À peine mis à la porte, ils reviennent sous une autre forme par la fenêtre. Ainsi du fameux abattement de 10 % pour « frais professionnels », appliqué aux retraités, victime d’une dénomination malencontreuse, puisque créé dans les années 70 pour compenser la faiblesse des pensions versées aux retraités à l’époque, et devenu un avantage acquis, inutile aux retraités pauvres, qui ne payent pas d’impôt sur le revenu, peu efficace pour les retraités aisés, qui peuvent optimiser leur contribution fiscale. Les retraités sont également visés directement par l’éventualité d’un gel de leurs pensions, ou d’une déconnexion de l’indicateur de l’inflation. Derrière ces discussions se profile en filigrane la remise en cause du principe même de verser aux plus anciens, qui ne peuvent plus être productifs, une forme de salaire différé, qu’ils ont mérité par leurs cotisations pendant leur activité.

Les économistes purs et durs se basent sur la moyenne des revenus des retraités et la comparent avec celle des salaires, ce qui n’a strictement aucun sens sinon de constater les inégalités flagrantes de revenus dans notre société, qui se perpétuent tout au long de la vie. En France, l’impôt sur le revenu est un des outils permettant une certaine redistribution, même imparfaite. La tendance actuelle viserait à ponctionner les revenus dépassant un niveau ridiculement bas, à peine au-dessus du seuil de pauvreté, tout en laissant échapper à l’impôt les véritables riches par la fraude ou l’optimisation. L’objectif des propositions allant dans ce sens me parait être de monter les Français les uns contre les autres, en les amenant à toujours regarder vers le bas, en espérant qu’ils se résignent au peu qu’ils ont et maintiennent le statuquo. En ciblant spécifiquement les personnes âgées, le pouvoir table sur la faiblesse relative de cette catégorie sociale. C’est oublier un peu vite que les anciens sont les plus sensibilisés pour des élections, et parmi les plus mobilisés qui se font encore un devoir d’aller voter.

*Inspiré du célèbre « salauds de pauvres ! » de Jean Gabin dans « La traversée de Paris » de Claude Autant-Lara.