Par qui le scandale arrive

On n’en finit plus de découvrir à quel point l’abbé Pierre, qui fut longtemps la personnalité préférée des Français et dont la renommée a traversé les frontières, était un personnage pour le moins ambivalent, dont la face cachée révélait une attitude abusive à l’égard des femmes, et parfois des enfants. Ces faits d’agression sexuelle avaient déjà été divulgués en nombre restreint, et il s’avère que les témoignages s’accumulent, au point qu’il devient impossible d’imaginer que la hiérarchie catholique n’en ait pas été informée. On s’achemine lentement mais sûrement vers la reconnaissance d’un secret de Polichinelle, comparable à celui qui entourait le comportement d’un Gérard Depardieu sur les plateaux de tournage.

Une cellule d’investigation de Radio France a enquêté sur ce sujet et ses conclusions sont édifiantes. L’église a bien eu connaissance de faits tombant sous le coup de la loi, qui se sont déroulés pour certains à l’étranger, et s’est contentée d’essayer d’éviter qu’ils soient connus, pour ne pas nuire à sa réputation, et presque accessoirement, qu’ils se renouvellent, mais sans prendre les mesures qui auraient été nécessaires. Nous n’en sommes pas au fatalisme du milieu du cinéma, où certains s’exclamaient, fatalistes : « c’est Gégé, quoi ! » en feignant de croire à la fable du « qui ne dit mot consent ». L’archevêque de Paris a déconseillé au ministre de la Fonction publique en 1958, soit 4 ans après son célèbre appel en faveur des sans-logis, de lui accorder une décoration, car il le considère comme un « grand malade » sur lequel il convient de « faire silence ». L’abbé Pierre est alors en clinique psychiatrique en Suisse, à la demande de l’église, qui lui aurait vivement conseillé de « se cacher » pendant un an.

La meilleure preuve de la connaissance des graves accusations visant l’abbé Pierre par sa hiérarchie, réside dans sa décision de le mettre sous surveillance, après des faits s’étant déroulés aux États-Unis, puis au Québec, où l’abbé restera persona non grata, bien qu’aucune plainte formelle n’ait été déposée contre lui. Il faut souligner l’attitude lucide et courageuse, bien que tardive, de la commission chargée de faire la lumière sur les agissements du clergé à l’égard des victimes d’abus sexuels. Après 17 nouveaux témoignages, il est question d’indemniser les victimes et de rayer le nom de l’abbé Pierre jusque dans le mouvement Emmaüs qu’il a contribué à créer et à développer, considérant qu’il nuirait plutôt à l’image de la Fondation, qui fait par ailleurs un travail remarquable. Même s’il ne sert à rien de pleurer sur le lait renversé, on ne peut que regretter que la hiérarchie catholique ait mis autant de temps à faire le ménage dans sa propre institution. Ce n’est pas propre à cette communauté de vouloir instinctivement faire silence, mais c’est contre-productif à terme, et surtout ça met en danger de nouvelles victimes potentielles.