Docteur Pierre et Mister Grouès

On croyait tout savoir de la double vie de l’Abbé Pierre, né sous le nom d’Henri Grouès, qui deviendra célèbre sous celui de Pierre, qui fondera la communauté Emmaüs et mènera un combat incessant contre la misère et le mal-logement. Un nouveau livre parait ces jours-ci, qui révèle une nouvelle fois la face cachée de l’abbé, mais aussi met en cause toute l’institution de l’Église catholique, y compris le Vatican et le pape de l’époque lui-même, ainsi que ses successeurs. Sur la personnalité de l’Abbé Pierre, on y apprend ses sympathies envers le régime du Maréchal Pétain, avant de se tourner vers la résistance, et il est rappelé son soutien à un négationniste notoire, Roger Garaudy.

Le titre du livre donne le ton : « L’Abbé Pierre, la fabrique d’un saint ». Il montre toute l’ambiguïté de l’église, plus préoccupée d’empêcher le scandale d’arriver que de protéger les futures victimes des agressions sexuelles de l’Abbé, considéré comme « un grand malade » aujourd’hui encore, ce qui est une façon de justifier un immobilisme coupable. Si l’église savait dès les années 50 que l’Abbé Pierre se comportait en agresseur envers les femmes et les enfants, que n’a-t-elle pris immédiatement les mesures d’éloignement et de protection qui s’imposaient, au lieu de laisser prospérer l’image trompeuse d’un saint homme en devenir. Elle pouvait ainsi sauver les victimes potentielles, abandonnées à leur sort, et même pas reconnues comme telles. Il n’est pas certain que cette bombe à retardement que constituait la tromperie officielle de la hiérarchie catholique pour couvrir et dissimuler les agissements d’un membre emblématique de sa communauté n’ait pas fait plus de dégâts que la révélation immédiate des coupables agissements de l’Abbé, auxquels se sont ajoutés d’autres péchés, tels que le mensonge, d’où aucun bien ne pouvait sortir.

La fondation caritative de l’Abbé Pierre, les chiffonniers d’Emmaüs, a souhaité couper les ponts avec son créateur, en supprimant toute mention de l’Abbé Pierre, et en allant jusqu’à effacer son portrait de la représentation de l’association. Un aggiornamento difficile, mais salutaire, qui a le mérite de la clarté. On aimerait pouvoir dresser le même constat vis-à-vis de toute l’institution, mais force est de constater, au travers des révélations récentes concernant des établissements catholiques que la vérité peine à trouver un chemin pour sortir, et que la parole des personnes agressées reste insuffisamment relayée jusqu’au sommet de l’état pour être entendue, reconnue, et permette d’éviter que de tels faits se reproduisent. Cette histoire de l’Abbé Pierre devrait servir d’épouvantail, malgré le temps passé, pour rendre justice aux victimes et empêcher que de tels faits se reproduisent. On attend toujours une réaction officielle du Vatican à ces nouvelles révélations.