Un sacré toupet

Après la tenue du « comité s’alerte sur le budget », la conclusion de François Bayrou a été surréaliste. Si nous en sommes réduits à chercher une manne de 40 milliards au minimum pour boucher les trous en 2026, c’est la faute des Français, qui, selon lui, ne produisent pas assez, parce qu’ils ne travaillent pas assez. Et pour quelle raison ne travaillent-ils pas suffisamment ? Le Premier ministre n’ose pas le formuler franchement, mais il est aisé de le comprendre, c’est qu’ils manquent tout simplement de courage, de cœur à l’ouvrage, en un mot, que ce sont de grosses feignasses.

Oui, je sais, il faut oser dire ça devant une bonne partie de la population, exploitée et sous-payée, qui laisse sa santé au boulot et a l’impression d’en faire plus que ce pour quoi elle est censée travailler. Selon la formule bien connue de Michel Audiard : « les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait ». Il y a bien quelques exemples de salariés peu motivés qui ne montrent guère d’enthousiasme au travail, spécialement quand il est harassant et mal rémunéré, mais cette généralisation de François Bayrou est pour le moins abusive. Le marché du travail en France est visiblement déséquilibré au début et à la fin de carrière. Les jeunes peinent à trouver un premier emploi, et rentrent tardivement dans la vie active, cependant que les « seniors » sont poussés vers la sortie à coups de ruptures conventionnelles qui ont remplacé les préretraites. Entre les deux, bon an, mal an, les Français travaillent autant que les autres pays comparables. L’âge de départ effectif à la retraite est largement supérieur à l’âge légal, qui fait l’objet de discussions dans le fameux « conclave » hebdomadaire.

Le plus choquant de ces déclarations du Premier ministre, c’est peut-être la manière technocratique avec laquelle il s’exonère de toute responsabilité dans la situation actuelle, à supposer qu’elle soit aussi catastrophique qu’il semble le dire. En effet, s’il n’a été nommé que récemment à la tête de ce gouvernement, il a soutenu depuis 2017 la politique du Président de la République, qui devrait être comptable des décisions prises en son nom, et qui auraient créé la situation difficile qu’il dénonce par ailleurs. Les Français ont déjà eu droit à une leçon de liberté d’expression de la part du vice-président américain, J.D. Vance, un expert en déni de démocratie, dans son discours de Munich en février dernier. Voici que leur propre Premier ministre les insulte en insinuant qu’ils ont bien mérité la situation difficile dans laquelle ils se trouvent et pour laquelle tout le monde, sauf lui et les ultrariches, devrait se serrer la ceinture. Bon appétit, messieurs !