Pilate Erdogan

Le président turc réclame à cors et à cris une intervention terrestre des forces de la coalition contre les terroristes de « l’état islamique », mais se garde bien de lever le petit doigt pour sauver les populations en majorité kurdes qui se font attaquer de l’autre côté de la frontière avec la Syrie.


Il préfère réserver ses forces pour réprimer les manifestations qui ont lieu dans la plupart des grandes villes pour protester contre son inaction, voire son indulgence envers les djihadistes. Et, à mon avis, les manifestants n’ont pas tort de craindre le pire. L’ennemi numéro un pour Erdogan, c’est Bachar al-Asad, dont il espère toujours la chute qui lui permettrait de prendre le leadership dans la région. Les soldats de « l’état islamique » sont toujours pour lui des alliés objectifs dans ce combat. Très près derrière le dictateur syrien arrive le PKK, le parti indépendantiste kurde, dont Erdogan aimerait être débarrassé définitivement après 30 ans de lutte armée, et des relations dans l’impasse. Or, la ville de Kobané, que les djihadistes sont en passe de conquérir malgré les frappes aériennes de soutien aux forces des Peshmergas, est peuplée de Kurdes, ce qui explique pourquoi les millions de Kurdes vivant en Turquie se sentent tellement mobilisés pour essayer de sauver leurs compatriotes, et aussi pourquoi Erdogan s’en lave les mains en ne voulant pas prêter main-forte à son adversaire du parti kurde.

La grande crainte de la Turquie, c’est qu’à la faveur des bouleversements qui secouent la région, le Kurdistan irakien, qui est déjà une région bénéficiant d’un statut particulier et d’une large autonomie, étende sa souveraineté, non seulement aux régions irakiennes limitrophes, mais également en Syrie, jusqu‘aux portes de son propre territoire et revendique un statut autonome pour les Kurdes résidant chez elle et accessoirement en Iran. Le meilleur rempart contre cet épouvantail serait la création de cette fameuse zone tampon réclamée par Ankara. Une bande de 20 kilomètres à la frontière turco-syrienne, permettant d’éviter l’afflux massif de réfugiés en Turquie, et par là même protégeant le gouvernement turc de l’influence kurde sur son territoire. D’ici là, le président Erdogan ne bougera probablement pas, tout en exhortant les autres pays à intervenir.