Pas vu pas pris

Ou comment menacer l’Occident, sans aller jusqu’au bout, tout en faisant croire le contraire. C’est en quelque sorte la signification d’une des dernières provocations de Vladimir Poutine en prenant pour cible mercredi un avion français qui effectuait une mission de surveillance en mer Baltique pour le compte de l’OTAN. Notre appareil survolait alors des eaux internationales, et il était donc parfaitement dans son droit, pour surveiller l’intégrité des câbles sous-marins de télécommunication ainsi que du câble acheminant de l’électricité dans cette zone. En effet, fin décembre, certains de ces câbles ont été endommagés et l’on soupçonne fortement la Russie d’être à l’origine de ces sabotages, bien qu’elle le nie farouchement.

Dans un souci d’apaisement, l’OTAN a préféré minimiser l’incident, qui serait somme toute presque banal, et qui n’a pas eu de conséquences néfastes. Cependant, l’armée française félicite son équipage pour le sang-froid dont il a fait preuve, alors qu’il faisait l’objet d’une menace directe d’être abattu grâce à un verrouillage radar, dernière étape avant un tir éventuel. Une telle attitude des forces russes est évidemment totalement inadmissible, et fait courir un risque démesuré d’escalade pouvant déboucher sur un conflit généralisé, dont l’autocrate russe s’efforcerait de faire retomber la responsabilité sur l’Occident. Il s’inscrit dans une stratégie globale, dans laquelle Poutine brandit régulièrement la menace du recours aux armes nucléaires pour forcer les alliés de l’Ukraine à l’abandonner, sous peine du déclenchement d’une troisième guerre mondiale, catastrophique pour toute la planète, similaire à la politique de la terre brûlée utilisée régulièrement par la Russie, par exemple contre les armées napoléoniennes.

Le danger est réel, d’une part parce que Poutine, poussé dans ses retranchements, pourrait finir par aller trop loin et se retrouver victime de ses propres erreurs d’appréciation, et d’autre part parce qu’un accident est toujours possible et qu’un enchaînement de circonstances malheureuses peut aboutir au pire, échappant ainsi aux intentions d’origine. Il faut tenir compte du fait que la pression des États-Unis en faveur de la cessation des combats avec l’Ukraine va peser sur les deux belligérants, et que l’ouverture éventuelle de pourparlers pousse la Russie à obtenir un maximum de succès militaires pour négocier en position de force. Dans ce contexte, les combats dans la région de Koursk, seul oblast russe occupé partiellement par les Ukrainiens, revêtent une importance particulière. Malgré tous leurs efforts, les Russes ne parviennent pas à le reconquérir, alors qu’ils progressent ailleurs, bien que lentement. Cet incident, qui semble désormais terminé, illustre aussi le concept qui préside désormais aux conflits, celui de « guerre hybride ». On ne se contente plus d’engager des forces conventionnelles. Tous les moyens sont bons pour déstabiliser l’adversaire, et notamment les plus souterrains. Ce sont eux que l’on peut le plus facilement nier pour soi-même tout en les attribuant au camp adverse. Ils permettent souvent de gagner la bataille de l’opinion, à condition toutefois de ne pas se faire prendre.