Gribouille à l’Élysée

Les résultats des élections européennes sont tombés vers 20 heures hier soir, et ils ne sont pas bons, comme cela était prévisible, pour le parti du président malgré son engagement à corps perdu dans une bataille qu’il a voulu réduire à l’affrontement entre lui ou le rassemblement national, variante moderne du « moi ou le chaos » du Général de Gaulle. Sa liste n’a obtenu que la moitié à peine des suffrages du RN, et elle est talonnée par celle de Raphaël Gluksmann, qui confirme une certaine percée annoncée par les sondages, dont les prévisions ont été largement confirmées par les résultats.

La surprise a été amenée par Emmanuel Macron qui a décidé, alors que rien ne l’y obligeait et qu’il n’a cessé de clamer que la demande du Rassemblement national était inopportune, de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer à la hâte de nouvelles élections législatives dans l’espoir fou que les mêmes causes n’amèneront pas les mêmes effets. Dans un premier temps, j’ai pensé, comme beaucoup des observateurs de la vie politique, qu’il s’agissait d’un vaste coup de bluff, un peu comme le joueur de poker qui mise son « tapis », l’ensemble de ses gains, sur un seul coup, pour impressionner l’adversaire et l’amener à « se coucher », alors qu’il ne possède qu’un jeu médiocre. Avec une maigre paire de sept, on peut ainsi espérer ramasser un « pot » très conséquent, juste à l’esbroufe. À condition que l’autre ne soit pas ultra-favorisé par une main très forte, un carré d’as par exemple, ce qui semble être le cas du RN en ce moment. Emmanuel Macron ne peut pas ignorer le risque majeur qu’il prend en appelant les Français à trancher. Qu’il le prenne pour lui, en préférant se jeter à l’eau pour ne pas être mouillé, tel Gribouille selon la tradition populaire, passe encore. Qu’il mobilise la France entière pour une manœuvre désespérée destinée à satisfaire son ego, c’est beaucoup plus discutable.

Emmanuel Macron joue son avenir et celui de la France à pile ou face, selon que les Français lui imputeront ou non la responsabilité de l’échec monumental qu’il vient de subir. Le plus probable est qu’il soit amené à une cohabitation dont il n’a cessé de dénoncer les risques, en dramatisant les enjeux à l’envi, dont il pourrait être tenté de sortir en renonçant à ses fonctions avant le terme prévu, si seul son avenir personnel lui importe, comme on en a l’impression. Les commentateurs les plus retors lui attribuent même une forme de machiavélisme qui l’inciterait à un comportement suicidaire, en facilitant l’arrivée du RN à Matignon pour reculer la prise de l’Élysée et gagner un peu de temps. Compter sur un sursaut de l’électorat modéré en brandissant l’épouvantail de l’extrême droite est en tout cas un jeu très dangereux pour la démocratie, et pour les Français.