Lynchage avec préméditation

Il y a des journalistes qui cirent les pompes et d’autres particulièrement pugnaces. On peut affirmer sans hésitation que Jean-Jacques Bourdin appartient à la deuxième catégorie. L’interviewer matinal de RMC et BFMTV met un point d’honneur à pousser ses invités dans leurs retranchements, ce dont on ne peut que le louer, mais il lui arrive aussi de piéger volontairement ses interlocuteurs en leur posant des questions destinées à démontrer leurs lacunes éventuelles. Jeudi dernier, Jean-Jacques Bourdin avait visiblement l’intention de se payer un ministre à son petit déjeuner. Et c’est tombé sur Myriam El Khomri, la toute récente ministre du Travail.

C’est d’autant plus ballot que ses prédécesseurs étaient invités pour commenter des chiffres du chômage plus désastreux les uns que les autres et que, pour une fois, il y avait un peu de grain à moudre avec une baisse mensuelle, toute relative, mais encourageante. Patatras ! La ministre était prise en flagrant délit d’ignorance sur le sujet des CDD et leur renouvellement. C’est certes fâcheux, mais ne méritait sans doute pas la mise à mort avec l’épée, la muleta et la fanfare avec lesquels le journaliste a souligné l’embarras de son invitée de façon à bien faire remarquer à quel point, lui, Jean-Jacques Bourdin, était un journaliste brillant et indépendant. Myriam El Khomri, sans être débutante en politique, n’a pas acquis les réflexes des vieux routiers dont la règle semble être : « n’avoue jamais ». Elle aurait pu, à la façon d’un Mitterrand devant Giscard en 1981, répliquer qu’il n’était pas son professeur et qu’elle n’était pas son élève. Mais, péché de jeunesse sans doute, elle a reconnu son incapacité à répondre à la question.

Ce qui soulève le problème de la compétence technique nécessaire à l’exercice du pouvoir. Veut-on des ministres technocrates, obligatoirement issus du sérail du domaine de compétence de leur secteur : un médecin à la Santé, un enseignant à l’éducation nationale, etc. ? Aurons-nous plus de garanties sur l’efficacité de leur travail et la pertinence de leurs décisions ? Rien ne permet de l’affirmer. Peut-être même au contraire. Ce qui ne dispense pas d’une information approfondie sur les sujets importants de son ministère, dont Myriam El Khomri semble avoir manqué. Si ça peut la consoler, elle n’est pas la première, et elle ne sera pas la dernière à être ainsi piégée. Nicolas Sarkozy a lui-même fait plusieurs fois les frais des questions de Bourdin, mais, à la différence de sa jeune collègue, n’a jamais admis ses erreurs.