Contrefaçons

C’est l’histoire d’un mec… Pas le mec, euh… non, le mec normal… Blanc. Alors le mec, c’est un artiste, il vit à Shanghai et il expose, mais les affaires ne marchent pas très fort. Alors, il a une idée, le mec. Il se dit comme ça : si les Chinois font des faux Vuitton, pourquoi je ferais pas un faux Chinois ? Et c’est parti. Il se met à signer Tao Hongjing, il lui invente une biographie avec la complicité d’un copain galeriste chinois, un vrai, lui, et d’un coup, les ventes décollent. Ça fait 10 ans que Alexandre Ouairy se présente comme l’assistant du maitre chinois et sa cote ne cesse d’augmenter.

Lui qui vendait péniblement une ou deux lithographies par exposition à 220 euros pièce sous son vrai nom, écoule à présent une ou deux œuvres par mois, à un tarif nettement plus rémunérateur de 29 000 euros pour une céramique. Je suis incapable de vous dire si cela les vaut, pour la bonne raison que je n’ai pas vu les œuvres en question et que je n’ai aucune compétence pour en juger. Cette histoire m’en rappelle une autre. Celle de la toile intitulée « Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique » présentée au salon des indépendants en 1910 comme l’œuvre d’un certain Joachim-Raphael Boronali (anagramme d’Aliboron), et qui était en fait un vaste canular du célèbre écrivain Roland Dorgelès, puisque c’était un âne qui avait peint la toile avec sa queue. Si le tableau n’a pas atteint des sommets à sa vente, il a cependant pu faire illusion avant que Dorgelès ne révèle la supercherie.

Pour être honnête avec Tao Hongjing, il est possible, et même probable, que son œuvre mérite mieux que celle de Lolo, l’âne peintre. Souvenons-nous de cette autre mystification, littéraire celle-là, qui permit à Romain Gary d’être récompensé deux fois du prix Goncourt, une première fois en 1956 pour les Racines du ciel, et une seconde fois pour La vie devant soi, publié en 1975 sous le pseudonyme d’Émile Ajar. Le changement de signature lui a permis de se faire éditer sur la valeur intrinsèque de son manuscrit, et d’obtenir une récompense qui ne devait rien à sa réputation, puisque ni les Goncourt ni l’éditeur n’étaient dans la confidence. Et, après tout, un proverbe chinois ne dit-il pas que si l’on mélange le blanc et le jaune d’un œuf, c’est le jaune qui l’emporte ?