Entre ici, Daniel Cordier

L’ancien secrétaire de Jean Moulin, qui vient de décéder à l’âge de 100 ans, ne sera pas panthéonisé comme son illustre patron, accompagné alors par l’hommage rendu au nom de la nation par un André Malraux grandiloquent. Il ne sera pas bon plus inhumé dans la crypte du mont Valérien, comme il est prévu pour le dernier représentant de l’Ordre des Compagnons de la Libération, créé par le général de Gaulle pour honorer les personnes qui ont contribué à permettre la victoire sur l’occupant nazi. En mourant le premier, il a cédé son tour à Hubert Germain, son aîné de quelques jours.

Selon ses volontés, il sera enterré à Cannes où il finissait ses jours, une sépulture plus conforme à sa constante modestie. Ou peut-être faut-il y voir une conscience tourmentée par un parcours marqué par une sorte d’infamie originelle. Daniel Cordier, avant d’être le résistant que l’on connait, a été à 17 ans Camelot du roi, vendeur du journal d’extrême droite de Charles Maurras, l’Action française, anticommuniste et antisocialiste, hostile à Léon Blum dont il souhaite l’exécution après la guerre. Il reconnaitra dans ses mémoires avoir également été antisémite avant de prendre conscience de l’horreur de cette attitude et de changer d’avis, sur ce point comme dans d’autres. L’évènement décisif sera la demande d’armistice de Philippe Pétain dès le 17 juin 1940, qu’il dénonce aussitôt avant de rejoindre les forces libres de De Gaulle en Angleterre. Certains historiens l’ont soupçonné d’une responsabilité dans l’arrestation de Jean Moulin, dont il était l’un des seuls à connaitre sa localisation. Il témoignera contre René Hardy au procès de ce dernier en 1947.

Son presque jumeau centenaire, Hubert Germain, a eu un parcours beaucoup plus linéaire. Fils d’un général, il sera engagé volontaire dès 1940 dans les FFL puis la Légion étrangère et deviendra aide de camp du général Kœnig en Allemagne occupée. Dans le civil, gaulliste de la première heure, il sera député puis ministre des PTT du gouvernement Messmer, autre ancien des forces françaises libres. Ces deux personnalités, si contrastées, ont en commun de symboliser la fin d’une génération qui avait 20 ans à une période difficile à double titre. Tout d’abord parce que la guerre, la défaite et l’occupation créaient des conditions de vie très compliquées, à côté desquelles les épreuves liées à la pandémie actuelle sont quand même à relativiser, si pénibles soient-elles. Et aussi parce que chacun s’est trouvé confronté à des décisions pouvant entraîner la vie ou la mort, l’héroïsme ou le déshonneur. Et beaucoup ont suivi leur instinct, choisissant tantôt le côté lumineux et tantôt le côté obscur. Qui peut dire à coup sûr aujourd’hui qu’il aurait emprunté le chemin de la gloire et non celui de la perdition ?