Le triomphe de l’ignorance

Connaissez-vous Alessandra Sublet ? Oui, probablement, mais sans doute très vaguement, comme moi. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir tout essayé pour acquérir et conserver une notoriété et si possible une popularité, qui fasse plaisir, bien sûr, et accessoirement lui permette de gagner sa vie. Après avoir écumé tous les plateaux de radio et de télévision depuis 1997, elle a annoncé en avril 2022 son retrait sinon sa retraite de la carrière d’animatrice. Elle était hier invitée de l’émission à succès de Yann Barthès sur TMC, Quotidien, pour présenter son spectacle « seule en scène » intitulé sobrement « Tous les risques n’auront pas la saveur du succès ».

Un titre prémonitoire ? ou destiné à conjurer le risque de l’échec ? Car, Alessandra Sublet revendique être une somme d’échecs, tout en les magnifiant pour se déclarer quelqu’un de complet et d’épanoui. Lorsque Yann Barthès va la chercher en mettant en avant que tout le monde n’a pas le choix qui s’est offert à elle, elle affirme que non, tout le monde a le choix, à condition de « se faire mal »… « Quand les gens réussissent, c’est qu’ils ont beaucoup travaillé, et qu’ils ont pris des risques ». Magnifique ! on croirait entendre du Macron dans le texte. Il ne manque que le coin de la rue, là où poussent tous les jobs intéressants, prestigieux et bien payés. Dans les propos de cette superbe philosophe, se cachent en effet de véritables leçons de vie. Il suffit de retourner les phrases pour en déduire que ceux qui ne réussissent pas, et ils sont légion, c’est donc qu’ils ne travaillent pas, ou du moins pas assez, ne veulent prendre aucun risque, et ne jamais se faire mal. Au fond, ils l’ont bien cherché.

Ce discours, nous le connaissons par cœur, et il est habituellement associé à un concept revendiqué à la fois par des idéologues de droite, ce qui me parait normal, mais aussi parfois par des penseurs qui se croient de gauche, celui de méritocratie. Un travers dans lequel Alessandra Sublet ne tombe pas. Là où la plupart des gens font assaut de modestie, réelle ou simulée, en mettant en avant la chance qui leur a permis de sortir du lot, elle met en valeur son inculture comme un titre de noblesse, une marque de fabrique. Si je ne peux pas être la plus cultivée ou la plus érudite, je peux prétendre au concours de miss inculture, celle qui ne comprend pas un traitre mot d’anglais ou qui ignore jusqu’à l’existence de Joséphine Baker. C’est elle qui a raison, bien sûr. La culture générale n’est d’aucune utilité sur les réseaux sociaux.