J’assume !

La formule, lancée de façon lapidaire par le préfet de police Didier Lallement devant la commission d’enquête sénatoriale au sujet des « évènements » qui ont marqué la finale de la Ligue des Champions au Stade de France le 28 mai, a résonné à la manière d’un « j’accuse » digne d’Émile Zola dans l’affaire Dreyfus. Vous aviez peut-être en mémoire le sens courant du verbe assumer, quelque chose comme : « assumer-verbe transitif direct-se charger de, prendre la responsabilité de quelque chose-exemple-assumer les conséquences de ses actes… »

Ça, c’était avant, dans un monde où les mots avaient un sens sans qu’il soit besoin de les tordre du côté qui arrange celui qui les profère. Au tout début du 21e siècle, quand un homme politique comme Lionel Jospin, à l’issue du premier tout de l’élection présidentielle de 2002, déclarait qu’il assumait pleinement la responsabilité de son échec, il ajoutait dans la foulée qu’il en tirait les conclusions en se retirant de la vie politique. Que dit d’autre le préfet Lallement ? Il assume en totalité la gestion policière qu’il a lui-même mise en place, il reconnait volontiers que c’est, à l’évidence, un échec, et… rien ! pas le début d’un mea culpa, à part un vague « désolé pour les victimes ». Encore plus fort, il prétend, sans la moindre preuve, que les décisions catastrophiques qu’il a prises étaient les seules permettant d’éviter un drame. Tout juste reconnait-il que le chiffre de 30 à 40 000 spectateurs dépourvus de billets valides qu’il a fourni au ministre de l’Intérieur est peut-être surévalué. Ce n’est pas la première fois que la gestion du préfet de police est pointée du doigt, notamment dans la crise des gilets jaunes, et il aurait dû sauter beaucoup plus tôt, soit en démissionnant, soit en se faisant virer purement et simplement.

Mais l’exemple vient de haut en matière d’irresponsabilité. Souvenons-nous d’Emmanuel Macron en 2018 en pleine affaire Benalla lançant sous forme de défi : « s’ils veulent un responsable, qu’ils viennent me chercher ». La théorie sous-jacente et la pratique institutionnelle, c’est de délivrer un blanc-seing pour une durée variable, celle du mandat, pendant laquelle l’élu ou le fonctionnaire fait exactement ce qu’il veut, sans que son action puisse être invalidée ou même infléchie. S’il consulte des instances extérieures, c’est uniquement à son bon vouloir et il ne sera confronté à ses choix, bons ou mauvais, qu’à la toute fin, à l’élection suivante, quand les électeurs auront oublié le pire, ou en auront assez de voter pour que rien ne s’améliore, renforçant donc l’abstention. De nos jours, quand un « responsable » dit « assumer », il ne se donne souvent même plus la peine de préciser quoi. Pour tenir compte de l’évolution de la langue, il faudrait donc ajouter un deuxième sens dans les dictionnaires : assumer-verbe intransitif-narguer ses interlocuteurs en leur signifiant une indifférence totale à leurs doléances.