Quand on fait des crêpes chez nous

Si le bon sens est la chose au monde la mieux partagée, selon René Descartes dans son fameux Discours de la méthode, car chacun pense en être suffisamment pourvu et n’en désire pas davantage, le monde entier plébiscite les crêpes sous toutes ses formes et les célèbre traditionnellement à l’occasion de la Chandeleur. Ce jour-là est souvent le seul dans l’année où les Français en consomment, et parfois se risquent à les préparer et à les cuire, avec des sorts divers et variables selon les compétences des chefs d’un jour manquant parfois cruellement de pratique. Pour des cuisiniers d’occasion, la performance la plus redoutable consiste à tenter de « tourner » la crêpe d’une main, l’autre tenant fermement un louis d’or pour les plus riches, promesse de fortune supplémentaire à venir. 

Avant d’aller plus loin, sachez qu’en qualité de Breton qui se revendique totalement partial et même chauvin, pour moi rien ne vaut la crêpe bretonne, qu’elle soit de froment, ou au blé noir, le sarrazin, prenant alors le nom de galette. Je n’ai guère eu l’occasion de goûter aux spécialités étrangères, que ce soit les pancakes traditionnels d’Amérique du Nord, les blinis russes ou les crêpes du monde entier dont je ne doute pas de l’intérêt. Par contre, en Bretagne, le moindre village s’il a vu disparaitre la plupart de ses commerces a souvent conservé sa crêperie, avec le tabac-journaux-articles de pêche — buvette incontournable. Tous les Bretons connaissent et fréquentent la meilleure crêperie de tout l’Ouest, qui n’est pas la même pour tout le monde. Ce qui a considérablement changé depuis ma tendre enfance, c’est la variété à l’infini des préparations à base de crêpes. Au commencement était « la galette dite complète » avec sa garniture d’œuf, de jambon et de fromage, plutôt copieuse, permettant souvent de faire un repas bon marché, en la faisant suivre d’une crêpe sucrée à la confiture ou au beurre salé selon les goûts. Il y avait même à Nantes une crêperie qui promettait aux clients de leur rembourser le repas s’ils venaient à bout de deux « pavés », la spécialité de la maison, des « super-complètes » en quelque sorte.

Tous ces préambules ne font que renforcer la déception que nous avons connue en essayant un établissement près de chez nous, qui s’est révélé très en deçà des standards auxquels nous sommes habitués. Une expérience qui nous permettra d’apprécier la qualité, généralement très correcte des crêperies bretonnes qui fleurissent encore dans les zones touristiques. Et rien n’empêche les plus téméraires de se lancer et suivre une des nombreuses recettes que l’on trouve facilement sur Internet de nos jours.