Le triomphe du Tsar

Il est peu de dire que l’administration Trump a déroulé le tapis rouge pour recevoir Vladimir Poutine et la délégation russe dans la base américaine près d’Anchorage, en Alaska. Le tête-à-tête prévu entre le président américain et son homologue russe s’est transformé en face-à-face entre deux équipes plus fournies, emmenées par leurs chefs respectifs, assistés par deux proches conseillers. Une situation qui m’a fait penser au sujet de la pièce de Pierre Corneille, Horace, dans laquelle Rome est représentée par les trois Horaces et Albe par les trois Curiaces, qui s’affrontent en combat singulier au nom de leur patrie.

Comme on le sait, Horace se retrouve isolé rapidement et doit affronter les trois frères rivaux. Il choisit alors de fuir, au grand désarroi de son père, amenant la réplique fameuse : « que vouliez-vous donc qu’il fît contre trois ? Qu’il mourût ! » Le public apprendra plus tard qu’il s’agit d’une ruse d’Horace, qui vise à séparer ses trois adversaires, afin de les tuer l’un après l’autre. Dans le sommet d’Anchorage, Poutine n’a pas eu besoin de diviser ses concurrents, ils s’en sont chargés tout seuls. Ni les Européens ni les Ukrainiens n’étaient conviés à une quelconque table de négociation. La délégation russe n’a eu besoin que de répéter une argumentation déjà bien rodée, et il n’était plus question des sanctions supplémentaires dont Donald Trump menaçait Vladimir Poutine. La seule et minime concession que le Kremlin avait prévue, la garantie d’une sécurité de l’Ukraine qui pourrait être toute théorique n’était même pas demandée par Trump, qui n’obtiendra pas ce qu’il souhaitait : un accord de cessez-le-feu.

Donald Trump aura beau parader devant une presse acquise à sa cause, non seulement il a perdu la première manche, mais il a grandement obéré les chances de se rattraper à la manière d’Horace. La ou les rencontres à venir devraient inclure le président Zelensky, mais il ne devrait, selon Trump, qu’entériner les conditions russes à une cessation des hostilités, dont la perspective s’éloigne encore plus. Pendant que les diplomates et les politiques échangeaient leurs arguments en Alaska, l’armée russe lançait 85 drones et un missile sur diverses régions ukrainiennes, comme elle le fait régulièrement depuis le début de l’invasion. Une offensive terrestre se déroule également pour tenter de gagner du terrain sur la ligne de front, qui pourrait servir de base à de futures négociations éventuelles. Vladimir Poutine peut-être très satisfait de la rencontre avec Donald Trump. Il n’a cédé sur rien, tout en engrangeant au passage une reconnaissance de fait du rang de superpuissance incontournable dans les contentieux actuels et à venir. Contrairement à Trump, il n’a pas à craindre la perte du pouvoir, et le temps joue en sa faveur. Il vient d’en gagner énormément, sans rien débourser.