La prise de l’ours

Confidence pour confidence, je n’ai jamais su me battre, que ce soit à mains nues, ou dans une forme quelconque de pugilat de cour de récréation. De plus, j’étais de constitution plutôt chétive et confronté le plus souvent à des élèves plus âgés que moi. Si bien que j’ai très tôt suivi le précepte des Bronzés en ne misant pas excessivement sur un physique peu avantageux, mais en essayant de courir aussi vite que je le pouvais, pour éviter une confrontation qui n’aurait probablement pas tourné à mon avantage. Dans les cas, assez rares, où je ne pouvais pas m’échapper ou me mettre prudemment sous la protection des enseignants chargés de faire régner l’ordre dans la cour de récré, j’avais cependant développé une stratégie de dernier recours, en pratiquant ce que j’appelais la « prise de l’ours ».

Devançant la confrontation inéluctable, j’entourais le torse de mon adversaire et je le serrais aussi fort et aussi longtemps que possible, lui coupant la respiration et le privant du recul nécessaire pour me frapper efficacement. J’arrivais ainsi généralement à gagner le temps nécessaire à une cessation des hostilités, faute de combattants, ou par l’intervention salvatrice des adultes. L’analogie vous paraîtra peut-être tirée par les cheveux, mais j’ai eu l’impression que les mesures annoncées sur les droits de douanes par Donald Trump s’apparentaient un peu à cette stratégie. En augmentant les taxes sur les produits en provenance du Mexique, du Canada ou de la Chine, le président des États-Unis compte bien les asphyxier en les privant de l’oxygène de leurs exportations, mais il va, ce faisant, alimenter l’inflation dans son propre pays. Les marchés financiers ne s’y sont pas trompés, qui ont reculé de 0.2 à 0.6 points selon les indices dès la journée d’hier. La guerre commerciale coûterait de 2 à 3 pour cent de PIB aux Canadiens et aux Mexicains, et presque rien aux Chinois, mais également au moins 0.3% aux Américains eux-mêmes.

Cette annonce vient contredire les experts qui pensaient à un coup de bluff de Donald Trump, pour négocier dans les meilleures conditions un « deal » avantageux pour son économie. Elle confirme surtout que l’Europe est bel et bien la suivante sur la liste de décrets du président. Cette fois, le prétexte officiel est le déséquilibre de la balance commerciale, qui serait la preuve de la méchanceté des Européens, qui leur vendent des berlines allemandes en délaissant les voitures américaines, qui ne font plus rêver autant, même aux USA. Ceux qui escomptent que l’ours américain s’essoufflera le premier dans cette prise qui affaiblit tout le monde risquent d’en être pour leurs frais. Et le principal adversaire objectif de Trump, le président chinois Xi Jinping, pourrait tirer avantage de ce désordre mondial.