La grenouille

Jamais, nous autres Français, n’auront autant mérité le surnom sous lequel nous sommes connus dans le monde anglophone, où, vous le savez, on nous traite de « frogs », parfois affectueusement, mais le plus souvent avec une pointe de moquerie qui ne vous aura pas échappé. C’est à notre réputation de mangeurs de batraciens que nous devons évidemment ce sobriquet, notamment quand nous les cuisinons à la Provençale ou en persillade, et que nous les dégustons dans les guinguettes de bord de Loire. Dans le Bébête show français, inspiré du Muppet show américain, Kermit la grenouille prenait les traits de Kermitterand.

Mais c’est à notre bon vieux fabuliste, Jean de La Fontaine, que m’a fait penser notre président bien aimé dans son entretien avec l’autre beau gosse, celui de la télé, où ils ont échangé, avec force amabilités, et rhubarbe et séné, bien que n’y eusse point été convié. En particulier le passage où Emmanuel Macron a déclaré qu’il avait gagné la guerre contre Daech à lui tout seul ou presque. Il compte naturellement pour quantité négligeable l’action militaire de la Russie, l’Iran ou les forces loyalistes syriennes d’une part, et celle de la coalition occidentale d’autre part, où les États-Unis ont fourni le plus gros des troupes. Cela importe peu, à entendre le président français qui feint de considérer la petite contribution de notre pays comme décisive dans la victoire finale, qu’il se permet d’annoncer avec une précision ridicule pour la « mi, fin février ». Comment ne pas songer à cette fameuse grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf, dont notre fabuliste national nous narra l’histoire, qui malheureusement pour elle, finit assez mal.

Outre ces rodomontades, Emmanuel Macron a annoncé dans la foulée qu’il faudrait bien discuter avec Bachar El-Asad, tandis qu’il le traitait de dictateur sanguinaire qui devrait répondre de ses actes. Vous percevez, j’imagine, la légère contradiction entre ces deux affirmations. Bachar El-Asad aussi, qui n’a pas manqué de dénoncer l’attitude de la France accusée de soutien au terrorisme. Pourquoi se gênerait-il puisque le président français a d’ores et déjà annoncé son impunité au nom d’une réalpolitik acceptant le fait accompli ? On ne peut que souhaiter bon courage au ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, engagé dans une polémique avec le boucher syrien, mais qui partira à la négociation éventuelle pieds et poings liés. Quant à notre président, que l’on a souvent soupçonné de grenouiller avec les milieux d’affaires, il devrait méditer la fin malheureuse de la « chétive pécore » de la fable, qui à force de se gonfler et se bouffir d’orgueil, finit par éclater, et en crever, comme une vulgaire bulle financière.