Déminage

Par une coïncidence troublante, le Premier ministre, Jean Castex, dont on aurait pu penser qu’il était très occupé dans les circonstances actuelles, entre la fin espérée de l’épidémie du Covid 19 et le début de cette guerre en Ukraine, dont on ignore encore jusqu’où elle peut nous entraîner, a trouvé le temps de signer une décision mettant fin au statut de détenu particulièrement surveillé d’Ivan Colonna, qui purgeait à Arles une condamnation à perpétuité pour l’assassinat du préfet Érignac en 1998. Un statut qui l’a empêché de pouvoir être emprisonné dans un établissement proche de sa famille, comme il le demande depuis toujours, de même que tous ses codétenus corses.

Donc Ivan Colonna, qui a été reconnu coupable définitivement, pourrait être transféré dans une des prisons corses. Malheureusement, il a été victime d’une agression d’un codétenu radicalisé, et se trouve toujours entre la vie et la mort depuis le 2 mars, ce qui relativise beaucoup l’urgence à prendre maintenant une décision présentée comme une mesure « d’apaisement ». En effet, les Corses, qu’ils soient ou non acquis à la cause, et même s’ils ne sont pas forcément d’accord avec les mouvements indépendantistes, considèrent à tort ou à raison que les détenus corses en général sont l’objet de mesures discriminatoires et d’éloignement sans motifs réels. L’agression subie par Ivan Colonna dans un local de sport semble indiquer un défaut de surveillance du personnel pénitentiaire et des manifestations ont eu lieu sur l’île, ainsi que le blocage d’un ferry transportant outre des passagers, qui ont finalement pu débarquer, un contingent de CRS venus prêter main-forte pour réprimer les mouvements de protestation.

On devine sans peine qui a dû tenir la main du Premier ministre pour signer immédiatement cette mesure, alors que le détenu lutte pour sa survie. Au moment où le président candidat se lance dans la campagne, il a besoin de tout sauf d’un mouvement social de quelque nature que ce soit. Et l’on sait que la question corse reste un sujet hautement inflammable. L’opinion majoritaire sur l’île semble bien être que l’état français a failli dans sa mission régalienne d’assurer la sécurité de tous dans une maison centrale. Qu’à ce compte-là, le danger éventuel de placer Ivan Colonna dans une prison corse n’était pas supérieur à la situation antérieure, qui veut que les Corses ont toujours droit à un traitement « de faveur », et que l’état central est toujours prompt à la répression, même s’il joue tardivement la carte opportuniste de l’apaisement, ce qui ne trompera personne. Le président Macron, qui a failli être emporté par la vague des gilets jaunes, a retenu la leçon. Il aura conseillé au candidat Macron de tuer dans l’œuf toute velléité de mouvement social, quoi qu’il en coûte. C’est le moment de flatter l’électeur et de le brosser dans le sens du poil.