Pour cent milliards t’as plus rien

Ce qui m’a fait comprendre que nous étions définitivement rentrés dans une nouvelle ère, c’est le changement d’échelle dans la vie publique. Jusqu’à une époque récente, les mesures les plus généreuses ou les plus spectaculaires se mesuraient encore en millions d’euros, voire en dizaines ou centaines de millions. On avait beau cumuler les budgets de plusieurs années pour faire mousser les montants, on arrivait difficilement à frapper l’imagination. Un budget de 500 millions paraissait le sommet de ce que notre bourse nationale pouvait laisser sortir. Et voici qu’à présent on ne descend plus en dessous du milliard, sous peine d’avoir l’air de jouer petit-bras.

Déjà, au moment de la crise des gilets jaunes, l’état a aligné 17 milliards en semblant trouver la somme négligeable. Et le pire, c’est qu’elle était effectivement insuffisante, à la fois dans les effets concrets, parce que l’argent dépensé n’allait pas au bon endroit, et dans le symbolique, car l’opinion entérinait le fait que tout cela n’était destiné qu’à jeter de la poudre aux yeux pour gagner du temps et que les véritables enjeux n’étaient pas abordés. Mais avec la crise sanitaire, tout ceci a littéralement explosé. Si l’on doit aider la SNCF ou Air France, voire Renault ou d’autres grandes entreprises nationales, il va falloir sortir un chéquier autrement plus conséquent, où le ticket d’entrée ne sera pas inférieur à 5 ou 10 milliards pièce. Et nous ne sommes qu’au début de la crise économique, qui va déjà coûter des fortunes en indemnisation du chômage partiel ou en pertes d’exploitation, tandis que le plus dur sera à la rentrée quand les entreprises fragiles devront déposer le bilan et que la nouvelle génération arrivera sur le marché du travail.

Le gouvernement va bien essayer d’anticiper avec des emplois aidés et des encouragements à l’embauche, mais la facture sera salée et le chômage durablement tiré vers la hausse, mettant à mal un équilibre légèrement amélioré depuis quelques années. Avec un PIB en berne dans des proportions encore mal définies, moins de recettes et plus de dépenses ne peuvent que creuser le déficit et augmenter la dette que nous transmettrons aux générations suivantes avec une transition écologique en panne sèche. Alors quand le gouvernement se gargarise des résultats du fameux Ségur de la Santé, qui a consisté principalement à rattraper une partie du retard de la rémunération du personnel infirmier, sans aucune garantie de son financement dans le futur, et qui a laissé de côté tout le volet du recrutement de personnel en nombre suffisant et l’arrêt de l’hémorragie de lits hospitaliers, on ne peut pas s’en contenter. Et bien que cela coûte fort cher, et qu’il reste de gros secteurs qui n’ont pas été abordés, notamment en ce qui concerne l’écologie, dont les Français semblent vouloir faire une priorité.