Monnaie de singe

Dans un argot qui n’a guère plus cours aujourd’hui, le « singe » désignait le patron, quand il ne s’agissait pas d’une boite de conserve d’une viande peu savoureuse héritée des rations des GI américains de la Seconde Guerre mondiale. Quant à la monnaie battue par nos cousins primates, elle est et restera le symbole d’un marché de dupes. J’ai bien peur que l’accord voté massivement par les salariés de General Electric fasse partie de cette catégorie. Pour « sauver » 307 emplois sur les 792 annoncés dans le plan social d’entreprise, les salariés devront faire des sacrifices, sans aucune garantie dans le temps de la pérennité des postes ainsi épargnés.

Le temps où les ouvriers étaient en position de force et pouvaient arracher de haute lutte des concessions sociales sous forme de salaires ou d’avantages divers semble bel et bien révolu. Désormais, les patrons des grands groupes multinationaux font la loi et sont prêts à tout pour diminuer la masse salariale. Le plan de General Electric prévoit la délocalisation de l’activité de production de turbines à gaz vers la Hongrie, où la main-d’œuvre est moins coûteuse et le gouvernement très accommodant avec les entrepreneurs peu scrupuleux. Les dirigeants américains de l’entreprise qui a racheté la branche énergie d’Alsthom sont en position de force. Je les soupçonne d’avoir mis la barre des licenciements très haut pour négocier des baisses de rémunérations dans un premier temps et à terme vider la région de ses activités.

On ne peut pas blâmer les salariés d’accepter une proposition qui permet d’éviter un certain nombre de suppressions de postes, mais le résultat de ce genre de concessions est de tirer l’ensemble des rémunérations vers le bas sur la totalité du marché du travail, et ce n’est généralement que reculer pour mieux sauter. Les promesses en la matière n’engagent visiblement que ceux qui y croient. General Electric n’est pas un partenaire fiable, ni même honnête. Le ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, serait personnellement intervenu après du PDG pour obtenir l’accord finalement adopté par les salariés. Il est à craindre que les engagements de l’entreprise américaine n’aient pas plus de valeur que lorsqu’elle promettait de créer 1 000 emplois en contrepartie des subventions accordées généreusement par le contribuable français. Non seulement GE ne les créera jamais, mais a déjà licencié et compte bien continuer autant que faire se peut, dans la mesure où c’est la façon la plus fructueuse de fournir de confortables dividendes à ses actionnaires et des rémunérations délirantes à ses « singes ».