Le régiment des fromages blancs

Vous connaissez probablement la parodie du chant militaire qui rendait gloire au régiment de Sambre-et-Meuse, magnifié après la défaite de 1870 pour tenter de rendre moral et dignité à la nation humiliée. L’histoire y est racontée, dans sa version la plus prosaïque, et c’est ce refrain qui me vient immédiatement en mémoire quand j’entends ou je vois à la télévision le compte-rendu du défilé militaire du 14 juillet. Voici ce refrain :

« Le régiment des fromages blancs

Partit en guerre contre les camemberts

Mais le roquefort sentait si fort

Qu’ils retournèrent jusqu’à Belfort »

Il parait que les Français sont massivement friands de ce genre de parade et qu’ils y prennent un plaisir extrême, tout autant que si Versailles leur était conté. J’avoue ne pas partager cet engouement pour l’exhibition de soldats et d’armements destinés, les uns comme les autres, à faire une guerre dont on ne peut pas toujours affirmer qu’elle serve la bonne cause. Ainsi des guerres coloniales, en Indochine, ou en Algérie. Mais aussi, plus récemment, des opérations extérieures, comme on les nomme pudiquement, en Afrique ou ailleurs, dans lesquelles les intérêts géostratégiques ou économiques passent souvent avant la défense des peuples. La France est un des plus gros producteurs et vendeurs d’armes dans le monde. Il faut bien rentabiliser la mise au point des armements sophistiqués conçus et produits pour notre armée. La technologie et la théorie du zéro mort ne doivent pas nous faire oublier que la vocation d’une arme est de blesser ou tuer l’adversaire. Mathématiquement, plus il y a d’armes en circulation, plus le risque de faire des victimes s’accroit.

Et ce n’est pas un hasard si Donald Trump, le président du pays le pus armé de la planète, et aussi celui où il y a le plus « d’accidents » isolés et de tueries de masse, a été séduit par le défilé de 2018 à Paris et a décidé de le reproduire le 4 juillet dernier pour la fête d’indépendance des États-Unis, à la grande incompréhension de ses concitoyens, pour qui cette tradition n’a aucune signification. Ce qui plait tant à Donald, c’est sans doute l’aspect démonstration de force qui rappelle les plus belles heures de l’empire soviétique, dans un passé apparemment révolu avec le déclin de la superpuissance. C’est puéril, mais dangereux. Quant à moi, puisqu’en France tout commence et tout finit par des chansons, je ferai mienne celle de l’oncle Georges, pourfendeur de l’armée s’il en est, qui, « le matin du Quatorze Juillet reste dans son lit douillet » et tant pis si « tout le monde me montre au doigt ! »