La nouvelle journée de la jupe

Un chauffeur de bus parisien est accusé d’avoir refusé d’ouvrir les portes de son véhicule parce que les passagères étaient en jupe. Le sujet est éminemment sensible et la RATP a pris l’affaire très au sérieux en ouvrant une enquête interne. À ce stade, aucune certitude n’a pu être établie, faute de témoignages, la bande vidéo de la caméra du bus, notamment, a été effacée, conformément à la loi, après 48 heures. Ce qui n’a pas empêché certaines personnalités politiques de réagir, sans attendre les résultats de cette enquête.

Comme il fallait s’y attendre, Marlène Schiappa a aussitôt publié un communiqué commun avec Élisabeth Borne, ministre des Transports, pour dénoncer des faits, qui, s’ils étaient confirmés, seraient d’une grande gravité. Le candidat aux élections européennes qui mène la liste du Rassemblement national, Jordan Bardella, ne s’embarrasse pas, lui, de précautions oratoires, et dénonce les dérives de l’entreprise nationale qui embauche des chauffeurs islamistes pour acheter la paix sociale. Une instrumentalisation pour le moins prématurée dans la mesure où les accusations n’ont été formulées que dans un billet publié sur Facebook par le père d’une des jeunes femmes, sur la foi de ses déclarations, et retiré depuis. Aucune plainte n’a été déposée officiellement à ce jour, et le chauffeur conteste les faits qui lui sont reprochés. Selon un syndicaliste CGT de la RATP, le chauffeur aurait ouvert ses portes, puis les aurait refermées car les jeunes femmes ne montaient pas, pour terminer leur cigarette, avant de s’arrêter au feu rouge suivant.

Il va de soi que je ne saurais prendre parti, contrairement aux personnes citées plus haut, et que je me garderai bien de tirer des conclusions d’un incident dont on ne connait pas le fin mot, mais il n’est pas interdit de penser que l’on monte en épingle à des fins partisanes un différend banal. Si l’attitude sexiste prêtée au chauffeur du bus n’est pas invraisemblable, elle n’est pas avérée non plus, et l’on se souvient de la fausse agression antisémite du RER D en 2004, inventée de toutes pièces par la supposée victime. On touche ici à des questions très délicates, telles que le sexisme, la liberté de s’habiller comme on le souhaite, la pratique de la religion musulmane, dont on voit, en ce début de Ramadan, combien elle peut être réprimée dans certains pays, et oppressive dans d’autres, les préjugés racistes, l’ostracisme qui frappe les « quartiers », comme on les désigne à présent, les luttes pour la conquête de l’opinion à quelques semaines d’une élection nationale, et j’en oublie probablement. La prudence la plus élémentaire voudrait que l’on respecte la présomption d’innocence, alors que les journaux ne relaient pour la plupart que la version à charge du père de la jeune femme supposée discriminée.