L’os à moelle

C’est triste à dire, mais il aura fallu cette vague d’attentats meurtriers au Sri Lanka pour faire taire cette frénésie autour de l’incendie de la cathédrale Notre Dame de Paris. L’emballement médiatique qui a entouré ce malheureux évènement aura frisé le ridicule, si l’on songe qu’il ne s’agit finalement que de la dégradation d’un monument, certes important et symbolique, mais qu’il sera possible de restaurer, soit à l’identique, soit d’une façon différente, et qui pourra donner à l’œuvre un relief nouveau. Beaucoup de monuments ont ainsi été transformés et notre œil s’y est adapté.

La presse adore ronger un os jusqu’à ce qu’il n’en subsiste plus la moindre trace de sa substantifique moelle. D’où le titre de ce journal éphémère publié par Pierre Dac entre 1938 et 1940, et qui reparaitra de façon épisodique par la suite. Pierre Dac, à qui nous devons entre autres la remarque selon laquelle on dit : fermez la porte, il fait froid dehors et quand la porte est fermée, il fait toujours aussi froid dehors. Mais je m’égare. Dussé-je vous paraître cynique, j’avais fini par en avoir soupé de cette affaire de Notre Dame, au point que j’en avais les dents du fond qui baignent, et que je frôlais carrément l’indigestion. Quand la presse tient un bon sujet, elle nous en fait bouffer jusqu’à l’écœurement, tant et si bien que la cause est desservie, avant même d’être avalée. Nous aurons eu droit à tout, depuis le roman de Victor Hugo, jusqu’à la comédie musicale éponyme (j’aime bien la placer celle-là, et ce n’est pourtant pas facile) en passant par ce brave Stéphane Bern toujours prêt à voler au secours des chefs d’œuvres en danger, comme Jean-Claude Brialy en son temps pour les nécrologies de gens célèbres.

Alors on en a bien profité et je crains qu’il en aille de même pour ce nouveau drame absolu, qui possède tous les ingrédients pour devenir un feuilleton qui devrait tenir au minimum la semaine. Non seulement les attentats ont frappé des communautés chrétiennes, précisément au moment des fêtes de Pâques, mais il n’y a pas de revendication pour le moment. Il y a fort à parier que la presse fasse ses choux gras sur le sujet, à moins que quelque catastrophe mondiale plus croustillante ne vienne entre temps lui voler la vedette. Les organes d’information devraient se rendre compte que cette façon de procéder finit par être contre-productive. À force de gaver le public de toujours plus de la même chose, il finit par ne plus éprouver l’émotion sincère qui l’a poussé à l’origine à s’intéresser au sujet et il s’en détourne, inévitablement. Ce que j’appellerai : tomber sur un os.