La tchatche
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le samedi 19 janvier 2019 10:51
- Écrit par Claude Séné
La banlieue a réinventé la poésie, rebaptisée slam. La danse, sous forme de hip-hop, capoeira, street danse ou autre. La chanson, débarrassée ou presque de la musique avec le rap. Elle a aussi remis au goût du jour l’art oratoire, l’éloquence, en valorisant la tchatche et en la mettant en scène dans des confrontations affublées du joli nom anglo-saxon de « battle ». À ce petit jeu, même les plus entraînés des jeunes qui s’affrontent en combat singulier ne peuvent rivaliser avec le président de la République capable d’aligner des marathons verbaux sans même transpirer.
Battu en brèche par la rue, qui réclame sa démission et le hue copieusement à la première occasion, Emmanuel Macron s’est lancé à la reconquête du pays, tel le Cid campeador luttant pour bouter les rois musulmans hors d’Espagne. Après avoir observé un silence orgueilleux pendant plus d’un an et demi, cultivant la rareté de la parole présidentielle ou ne s’exprimant que pour énoncer des jugements définitifs sur le peuple à qui il fait l’honneur de le diriger, ou pour annoncer de grandes transformations, à la manière de la Pythie, l’oracle de Delphes. Il faut dire que lorsque l’enfant-roi Emmanuel Premier a paru, le cercle de la famille libérale élargie avait applaudi à grands cris. Profitant de sa popularité de l’époque, il a fait avaler au pas de charge le maximum de potions amères dont les effets ont fini par se ressentir, entraînant la révolte du petit peuple. Ayant dansé tout l’été, Emmanuel se retrouve fort dépourvu à présent que la bise est vraiment venue avec des sondages calamiteux. Mais s’il a d’autres défauts, on ne peut pas reprocher au Président de manquer de confiance en lui. Il a donc entrepris de convaincre, un par un s’il le faut, chacun des 67 millions de Français, qu’il faut appliquer sa politique non sans avoir débattu poliment au préalable afin de respecter les formes, sinon l’esprit de la démocratie.
François Mitterrand, alors dans l’opposition, avait publié un essai portant sur l’exercice du pouvoir par le général de Gaulle, intitulé « Le coup d’état permanent ». Il y dénonçait déjà la dérive des institutions vers un pouvoir personnel sans partage, une tendance qui n’a cessé de s’amplifier. En réunissant les maires de régions de France dans des grand-messes idéologiques, largement relayées par les médias, non seulement Macron occupe le terrain, ne laissant que des miettes aux contestataires à la télévision ou dans les réseaux sociaux, mais il entame une campagne électorale ininterrompue qui pourrait nous mener au moins jusqu’aux Européennes, et plus si affinités. Un bon petit plébiscite, comme les aimait le général, lui permettrait de se relégitimer. L’exercice est cependant très risqué, de Gaulle lui-même s’y est cassé les dents, mais il a eu l’honnêteté d’en tirer les conclusions en se retirant. Chiche, Monsieur le Président.