Le complexe du homard

Nous avons tous été sidérés par cette attaque au couteau au collège Françoise Dolto de Nogent, en Haute-Marne, hier matin, au cours d’un contrôle des sacs par des gendarmes à l’entrée de l’établissement. Une assistante d’éducation de 31 ans a malheureusement succombé à ses blessures. La première réaction dans la population et dans la classe politique, jusqu’au sommet de l’état, a naturellement consisté à exprimer une légitime solidarité avec la victime et ses proches, ainsi que la communauté éducative, touchée par cet acte de violence insensé. L’auteur des faits, un élève de 3e, n’a que 14 ans et n’est pas connu des services de gendarmerie.

Cette unanimité n’a pas tenu longtemps, les controverses et les polémiques politiques n’ont pas tardé à prendre le dessus, chacun essayant de récupérer l’émotion légitime soulevée par ce drame pour faire avancer ses solutions, non dénuées d’arrière-pensées électorales. Les circonstances ont cependant tordu le cou à une théorie souvent invoquée, selon laquelle il suffirait de durcir la répression pour « rétablir l’ordre ». L’inventeur de la formule, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a lui-même admis que la présence des gendarmes au collège n’avait rien empêché. C’est pourtant la piste suggérée par François Bayrou, le Premier ministre, en étudiant la multiplication des portiques de détection, ou celle de la ministre de l’Éducation, Élisabeth Borne, qui veut réglementer davantage la vente des armes blanches, tout en insinuant un rapprochement hasardeux sur l’influence des écrans et des réseaux sociaux. Passons sur les épouvantails brandis à droite et à l’extrême droite pour effrayer la population à coups de barbarie ou d’ensauvagement.

Que disent les acteurs de l’éducation confrontés au quotidien à ces difficultés ? Encore et toujours qu’ils ne sont pas assez nombreux pour exercer un véritable suivi des élèves, non seulement d’un point de vue scolaire, avec des absences non remplacées et des classes chargées, mais aussi par manque de personnels non enseignants : médecins et infirmières scolaires, Conseillers d’orientation-psychologues et tous les professionnels techniques indispensables à la bonne marche des établissements. Le collège de Nogent porte le nom de Françoise Dolto, qui avait théorisé le développement de l’adolescent par la métaphore du homard. Comme lui, le jeune doit se défaire de sa première carapace pour en sécréter une autre, plus adaptée à sa nouvelle taille. Pendant cette mue, il est très fragile, très exposé. Il doit s’adapter en permanence et réagit souvent par l’agressivité, notamment s’agissant des garçons, ou, plus fréquemment chez les filles, en retournant la violence contre elles-mêmes, ou en se réfugiant dans la passivité. Nous savons peu de chose de l’auteur présumé des faits sinon qu’il avait été exclu temporairement deux fois pour avoir troublé le bon déroulement de sa classe, mais qu’il était aussi désigné « ambassadeur » pour signaler des faits éventuels de harcèlement. Un comportement ne semblant pas relever d’un trouble grave de sa « santé mentale », mais qui aurait pu nécessiter une évaluation, impossible faute de moyens, de sa situation personnelle.