Étranges étrangers
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le samedi 22 octobre 2022 11:04
- Écrit par Claude Séné
J’emprunte le titre de cette chronique à Jacques Prévert, qui a résumé dans cette formule tout ce qui fonde notre méfiance instinctive envers ce qui sort de notre existence ordinaire, et nourrit parfois des sentiments inavouables fondés sur la peur de l’autre. De la meurtrière présumée de la jeune Lola, nous ne connaissions que le prénom et l’initiale de son nom. Désormais, la France entière a pu mettre un visage sur cette femme de 24 ans, qui avait posté des vidéos tout à fait banales sur les réseaux sociaux, comme des milliers d’autres jeunes qui cherchent naïvement à laisser une trace derrière eux.
Et c’est ce contraste entre la banalité d’un comportement social ordinaire et l’horreur d’un crime extra ordinaire qui provoque chez nous une réaction d’incompréhension. La nature ayant horreur du vide, chacun essaye de trouver une explication rationnelle à un acte qui ne l’est pas. Pour ceux qui manqueraient d’imagination, des idéologues mal inspirés se proposent de fournir des jugements à l’emporte-pièce au service de leurs propres idées, en prêt-à-penser. Dahbia B. est de nationalité algérienne. Donc, ce crime odieux n’a pu qu’être inspiré par la religion musulmane. C’est sans doute pour cette raison qu’un groupe d’extrême-droite, proche d’Éric Zemmour, qui signe ses forfaits d’« Action directe identitaire », a cru bon de taguer les murs de la mosquée de Pessac pour réclamer justice pour Lola. Au passage, c’est aussi la politique migratoire qui est stigmatisée. L’état est qualifié de laxiste, alors qu’aucun lien ne peut être établi entre le crime et une quelconque motivation liée à la nationalité de la meurtrière présumée.
Un autre aspect de ces jugements définitifs sans le moindre commencement de preuve concerne la santé mentale de la suspecte. Les actes reprochés à Dahbia B. sont tellement horribles qu’ils ne pourraient pas être le fait de gens bien portants comme vous et moi, mais nécessairement de malades mentaux. C’est malheureusement humain de mettre à distance ces aspects de la réalité en se protégeant de cette manière. Contrairement aux idées reçues, la plupart des crimes ne sont pas commis par des personnes ayant perdu la raison, au sens de la justice. De même que tous les aliénés ne passent pas nécessairement aux actes, heureusement. Dans ce cas d’espèce, il n’existe pas, à notre connaissance, d’antécédents psychiatriques précis qui auraient justifié une surveillance ou une prise en charge de la suspecte. Son état n’a pas non plus été jugé incompatible avec un séjour en prison. C’est pourquoi elle n’a pas été incarcérée dans un établissement lui permettant de bénéficier de soins, malgré un discours pouvant paraître incohérent. Comme il arrive fréquemment dans ce genre d’affaires, c’est l’absence d’affects qui nous incite à conclure à l’insensibilité de l’auteur des faits, alors que si elle était victime, on lui attribuerait peut-être un effet de sidération lié au traumatisme. Ce sera à l’enquête de déterminer tous ces aspects, et il y faudra du temps.