Essence : la guerre des mots

Pendant que le gouvernement s’acharne à prétendre qu’il n’y a pas, qu’il n’y a pas eu et qu’il n’y aura jamais de pénurie d’essence, une bonne partie des Français, 15 % selon certaines estimations, cherche désespérément à faire le plein de son véhicule. L’enjeu est évident. Plus les automobilistes croiront que le carburant va manquer, plus ils se précipiteront sur les stations-services encore ouvertes et tenteront de stocker de l’essence, contribuant ainsi à aggraver la situation, voire la provoquer dans certains cas. C’est pourquoi, officiellement, il n’est pas question de reconnaître une quelconque « pénurie ». Tout au plus on admet des tensions, qui devraient se résoudre dans les jours prochains.

Une tentative qui arrive bien tard pour espérer échapper aux files interminables devant les stations encore ouvertes, et qui néglige la cause première de cet état de fait : la grève qui touche les raffineries des groupes Total énergie ou Exxon et qui empêche l’approvisionnement en carburant dans la plupart des régions mais surtout dans les Hauts de France. Les salariés de chez Total notamment réclament leur part du gâteau engrangé par l’entreprise qui leur refuse la moindre négociation salariale malgré un bénéfice record. Le gouvernement a récusé la taxation des superprofits et accepté une ristourne à la pompe de la part de Total, ce qui a créé une distorsion de concurrence, profitable à l’enseigne. Cela a été le premier facteur de désordre, les automobilistes essayant de se fournir en priorité chez Total. Le scénario du pire s’est alors déroulé, sans que les ministères concernés aient rien vu venir, alors que la pénurie était parfaitement prévisible. Le déblocage des réserves stratégiques de carburant aurait pu être anticipé bien avant. Il arrivera comme souvent après la bataille et les quantités seront insuffisantes pour retourner une tendance de fond.

Total est devenu « roi du pétrole » au sens strict du terme et le groupe est prêt à tout pour profiter de sa rente de situation jusqu’à la dernière goutte de carburant. Il n’existe qu’une seule façon de l’obliger à négocier : taper au porte-monnaie, ce qui révulse visiblement les libéraux qui nous gouvernent. Ils pourraient cependant âtre forcés de revoir leur copie car la filière toute entière va être rapidement désorganisée. Non seulement les particuliers pourraient avoir du mal à se déplacer, y compris pour se rendre au travail, mais les professionnels, notamment les camionneurs, sont déjà en difficulté. Certains transports scolaires sont à l’arrêt forcé dans la Somme, par exemple. Sans être oiseau de mauvaise augure, il faut bien envisager la possibilité d’une crise majeure comparable au mouvement des gilets jaunes, qui avait été déclenché en 2018 par une augmentation brutale du prix des carburants, se greffant sur un mécontentement global de la population.