L’épine du pied
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le mardi 24 mai 2022 10:43
- Écrit par Claude Séné
Le président de la République n’aime rien tant que faire des « coups », des « prises de guerre », comprenez le débauchage individuel de personnalités les plus éloignées possible de ses idées ou de sa politique, de façon à pouvoir entretenir la fiction selon laquelle les clivages traditionnels n’existent plus et ne subsiste que l’adhésion à sa personne et à ses idées, quelles qu’elles soient. Après sa réélection, moins triomphale qu’espérée, il lui fallait réussir à faire venir à lui quelqu’un de son opposition dans la mandature précédente. Un peu comme un club de foot s’assure les services d’un joueur vedette d’un concurrent. Emmanuel Macron pensait avoir trouvé le candidat idéal en la personne de Damien Abad, président du groupe parlementaire Les Républicains à l’Assemblée nationale.
Contrairement au monde du football, nul besoin de casser sa tirelire pour cela. Un poste de ministre suffit amplement, voire de simple secrétaire d’État, pour ramener de gros poissons dans ses filets. En l’occurrence, Damien Abad n’est pas Lionel Messi ou Kilian M’Bappé. Ce n’est pas un ballon d’or de la politique, mais même si son parti est déclinant, le symbole était fort. De plus, par chance, il est porteur d’un handicap visible, ce qui lui donne instantanément toutes compétences pour le ministère qui lui a été proposé, celui des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées. Peu importe qu’il ait passé les cinq dernières années à critiquer très sévèrement les actions des précédents gouvernements, du moment qu’il sait désormais reconnaître le côté beurré de la tartine. Ses nouveaux collègues, pas rancuniers, ne lui en tiennent pas rigueur et l’ont accueilli chaleureusement jusqu’à ce que la rumeur se confirme. Le nouveau ministre fait l’objet d’une plainte pour viol et d’une autre accusation similaire d’une deuxième femme. Selon d’autres témoignages, il serait considéré comme « lourdingue » et « insistant » avec les femmes.
Bref, le nouveau gouvernement et le président de la République qui l’a nommé sont bien embarrassés. Ils ne pourront pas éternellement s’abriter derrière la présomption d’innocence. Si la justice est incapable de se prononcer, comme c’est le cas pour l’instant, quelle crédibilité aura le ministre pour mener une action dans son domaine ? Il refuse de démissionner, et le pouvoir ne veut pas se déjuger en le virant purement et simplement comme il l’a fait pour moins que ça dans le passé. Heureusement, il existe une porte de sortie qui pourrait arranger tout le monde, sauf les victimes présumées, bien entendu. Une jurisprudence qui empêche les ministres battus aux législatives de conserver leur fonction. Le président n’a plus qu’à prier que les électeurs de la 5e circonscription de l’Ain, où Damien Abad est réélu sans interruption depuis 2012, lui préfèrent cette fois-ci un autre candidat. Ils lui tireraient ainsi du pied cette longue épine qu’il s’est enfoncée lui-même.