Le bug du 9 mai

Pendant l’année 1999 et même avant, les rumeurs les plus folles avaient circulé sur l’existence d’un supposé « bug de l’an 2000 » qui aurait frappé et déréglé la plupart des mécanismes basés sur des systèmes informatiques. Moins on en connaissait sur le sujet, plus on était effrayé et plus on s’attendait à une sorte d’Apocalypse touchant toute la terre, comparable à la grande peur de l’an mil. Enfin, le 1er janvier arrivant, on a passé un œil prudent sur l’état de la planète, et puis… rien ! Le monde d’après, là aussi, ressemblait furieusement au monde d’avant. C’était toujours « une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien ».

On s’attendait donc à ce que le jour de la célébration de la victoire sur les nazis, le président russe Vladimir Poutine fasse une démonstration de force par l’ampleur du défilé militaire traditionnel et en profite pour faire des annonces belliqueuses, tout en glorifiant la valeureuse armée rouge et en annonçant des victoires sur le terrain ukrainien. Certains observateurs avaient même pronostiqué une déclaration formelle de guerre contre l’Ukraine, là où jusqu’à présent il n’est question que d’opérations militaires spéciales, toute allusion à une guerre étant passible de 15 ans de prison en Russie. Les réflexions sur les conséquences possibles de cette hypothèse allaient d’ailleurs bon train dans les rédactions européennes, et occupaient le terrain des chaînes d’information continue qui accordaient plus de place à des éventualités non avérées qu’aux combats bien réels qui se poursuivent dans la région du Donbass principalement. Les marchands d’antennes en ont été pour leurs frais. Poutine n’a pratiquement rien annoncé de nouveau et s’est contenté du service minimum, ce qui est peut-être plus inquiétant encore que l’outrance attendue par certains.

Les seuls signaux perçus par les Occidentaux sont de nature subliminale. Le nombre de chars était en baisse, probablement parce que les pertes subies par l’armée rouge ne permettaient pas d’être en même temps au front et à l’arrière dans les proportions habituelles. Plus étonnant encore, l’annulation de la parade aérienne qui devait frapper les esprits avec le symbole du zède dans le ciel, sous prétexte de conditions météo défavorables alors que chacun constatait un calme plat sur Moscou contrairement au déluge de feu sur Marioupol. Beaucoup de journalistes cherchent désespérément à comprendre la signification de ces non-évènements, et à interpréter ce qu’ils considèrent comme un revirement du Kremlin, alors qu’ils devraient simplement reconnaître qu’ils se sont trompés, et que si quelque chose a « beugué », c’est peut-être leur propre raisonnement. Cette date du 9 mai a été présentée comme un tournant qui n’a finalement existé que dans l’esprit des Occidentaux. Qu’il ne se soit rien passé ne signifie pas grand-chose non plus, sinon qu’il faut s’attendre à ce que le conflit s’installe dans la durée. Des mois, voire des années, et l’issue en reste incertaine.