Qui a peur de Sergueï Lavrov ?

Si le ministre russe des Affaires étrangères apparait toujours comme le grand méchant loup, celui qui rappelle régulièrement que son pays possède l’arme nucléaire, et qu’il n’hésitera pas à s’en servir si ses « intérêts vitaux » sont menacés, les petits cochons ukrainiens et européens ont démontré qu’ils n’entendaient pas se laisser manger tout cru, et parviennent à le tenir à distance dans leur maison fortifiée, avec l’aide du chasseur américain. Sergueï Lavrov agite le spectre d’une troisième guerre mondiale comme un risque toujours possible en omettant le fait que c’est son pays qui a déclenché les hostilités et qui continue à agresser un état souverain au nom d’une situation qu’il a lui-même créée.

La première offensive russe a échoué dans ses objectifs politiques et militaires. Ce qui devait être une promenade de santé dans un pays tout acquis à la cause du grand frère russe accueilli en libérateur s’est transformé en bourbier, en raspoutitsa, synonyme de pertes humaines et matérielles, qui a contraint le maître du Kremlin à réviser ses ambitions à la baisse. C’est peut-être le moment de bascule, comme dans un match de rugby, lorsque les « mouches changent d’âne » selon la célèbre formule de Pierre Albaladejo quand le sort de la rencontre s’inverse. Les pays occidentaux, assez frileux jusqu’ici dans leurs livraisons d’armes à l’Ukraine et faisant très attention à ne pas être accusés d’une « cobelligérance » qui les entrainerait dans un conflit ouvert, impliquant l’OTAN, ne font plus mystère du volume de leur aide très conséquente, y compris l’Allemagne, dont l’économie est pourtant très dépendante du gaz russe.

Sur le front de l’énergie se dessine aussi un tournant. Jusqu’à présent, ce sont les pays clients du gaz, du pétrole ou du charbon russe qui menaçaient de cesser leurs commandes. Pour la première fois, la Russie annonce la fermeture des robinets en direction de la Pologne et de la Bulgarie. Cette contre-sanction, si elle touche les pays concernés, sera aussi un manque à gagner pour la Russie, limité par un volume assez restreint. Chaque camp avance ses pions avec prudence et guette les réactions de l’adversaire. Deux conséquences à cet état de fait : d’une part le risque d’un élargissement du conflit en effet par erreur ou par folie suicidaire, d’autre part le risque d’un conflit interminable, sans vainqueurs ni vaincus, à l’exception des populations civiles, plus que jamais prises entre deux feux. À moins que l’arbitre chinois siffle la fin de la « récréation » en contraignant son allié russe à signer une « paix des braves » qui permettrait de reprendre le bizness mondial, et de renouer avec une nouvelle croissance économique, pilier du régime de Xi Jinping.