Intérieur nuit
- Détails
- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le vendredi 22 avril 2022 10:53
- Écrit par Claude Séné
De la même façon qu’on a inventé le procédé dit de « nuit américaine » pour tourner en plein jour des scènes d’extérieur censées se dérouler la nuit, il faudra peut-être baptiser « nuit russe » la technique qui consiste à mettre en scène des petites saynètes à l’intérieur d’un bunker, destinées à l’édification des populations déjà entièrement acquises à la cause du dictateur qui les gouverne et désire leur approbation par-dessus le marché. C’est ainsi que Vladimir Poutine a reconstitué un dialogue qui a peut-être eu lieu précédemment avec son ministre de la défense, Sergueï Choïgou, pour se congratuler mutuellement et mettre en valeur le chef suprême, devant des millions de téléspectateurs captifs.
Pendant une minute, le scénario, simpliste, montre le chef annonçant la victoire et la « libération » de Marioupol, déjà proclamée à de nombreuses reprises. Il ne manque que les rires enregistrés pour qu’on se croie dans un épisode de téléréalité. On s’attend presque à ce que le générique de fin annonce que les décors sont de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell. Cela fait penser aux jeux de rôle des enfants quand ils se répartissent les répliques. Toi tu dirais que notre armée a gagné et moi je te féliciterais et je te dirais ce que je veux que tu fasses après. Tout a dû être répété soigneusement auparavant et chacun connait parfaitement son texte, assez court au demeurant. Réglé comme du papier à musique. Pas question de feindre le trou de mémoire comme Francis Blanche avec Pierre Dac dans le Sar Rabindranath Duval.
Mais trêve de billevesées et autres coquecigrues, ce qui est le plus intéressant dans le sketch de Poutine et Choïgou, c’est, comme souvent, ce qui n’est pas dit. On comprend entre les lignes que Poutine, faute d’être certain de venir à bout des derniers combattants retranchés dans les souterrains du site industriel de l’aciérie Azovstal dans les délais impartis, c’est-à-dire avant le 9 mai prochain, a décidé de les laisser mourir de faim et de soif, à l’ancienne. Au passage, il évite de devoir sacrifier une partie de son armée dont la supériorité est battue en brèche et annulée par un terrain difficile. Il deviendrait de plus en plus compliqué de dissimuler l’ampleur des pertes humaines, et le dictateur russe craint par-dessus tout une révolte des mères et des grands-mères devant les cercueils des jeunes soldats, tombés pour une cause de plus en plus obscure, malgré une propagande aussi massive que les bombardements. Le rôle d’un chef étant de « cheffer », comme le disait si bien Jacques Chirac, Vladimir Poutine rappelle encore une fois que c’est lui qui décide, en ordonnant d’annuler un assaut final qui ne serait pas « approprié ». Il espère par cet acte d’autorité faire oublier les revers subis par son armée, moins forte que ce que l’on croyait, y compris lui-même.