M’enfin !

Les plus expérimentés d’entre vous, pour ne pas dire les plus âgés, et aussi les plus amateurs de bandes dessinées auront reconnu au travers de cette seule expression le personnage de Gaston Lagaffe, éternel adolescent en espadrilles, qui n’a pas pris une ride de 1957 à 1997, date de la mort de son « papa », André Franquin. Depuis, les albums de Gaston ont été réédités, des dessins animés et même un long métrage ont été réalisés pour le cinéma, mais le personnage lui-même, conformément au vœu de son auteur, n’avait pas été repris dans un nouvel album, contrairement à d’autres.

L’appât du gain, maquillé en « hommage » posthume, a conduit les éditions Dupuis à transgresser les dernières volontés de Franquin en confiant la tâche de concevoir et illustrer une nouvelle aventure du héros belge à un dessinateur canadien, talentueux par ailleurs. L’album s’appellera, en toute transparence, « le retour de Lagaffe », mais la fille d’André Franquin, Isabelle, a aussitôt saisi la justice belge en référé pour interdire cette publication au nom d’un droit moral qu’elle estime être seule à posséder. Le procès aura lieu en mai prochain, et s’annonce complexe au vu de l’imbrication des droits moraux et patrimoniaux. Cet imbroglio juridique n’a pas empêché le président des États-Unis, Joe Biden, de se saisir de l’esprit sinon du personnage de Gaston, et de s’en inspirer largement pour concevoir et diriger la diplomatie de son pays, notamment vis-à-vis de l’Ukraine. Sa dernière sortie a consisté à qualifier de génocide les crimes de guerre commis par les Russes sur le territoire ukrainien, tout en reconnaissant que seule une enquête approfondie permettra d’établir ces faits avec certitude. Précédemment, il avait indiqué que Vladimir Poutine, traité de « boucher », ne pourrait pas rester au pouvoir, laissant entendre que son pays pourrait fomenter un coup d’État en Russie.

Joe Biden peut bien penser ce qu’il veut, et en l’occurrence il a raison, mais il ne peut pas le dire avec autant de netteté sans en tirer les conclusions, qui pourraient conduire à un conflit frontal avec la Russie, avec toutes les conséquences envisageables, y compris la généralisation et la nucléarisation de la guerre. Par ses inconséquences, le président américain ruine toute la stratégie de son administration qui voudrait au contraire contenir les affrontements dans un périmètre restreint et éviter d’entraîner l’alliance de l’OTAN dans une guerre totale et dévastatrice. La première et la plus grave erreur de Joe Biden a consisté à ne pas tenir sa langue sur cette volonté de rester à l’écart du conflit. Il aurait pu dire directement à Poutine : « faites ce que vous voulez en Ukraine, nous n’interviendrons pas ». Alors qu’une menace, même voilée, de réaction plus ferme, aurait pu amener le dirigeant russe à plus de prudence et de circonspection. À suivre !