Du rêve à la réalité

Pour nous, métropolitains, les territoires ultra-marins représentent une sorte de paradis exotique, où nous sommes toujours en France, mais une France idéalisée, avec un climat ensoleillé, des températures d’été en hiver, des paysages extraordinaires. Pour les résidents à l’année, le contexte est tout autre, et la vie plus dure. Pour ceux qui la subissent, la misère n’est pas moins pénible au soleil. C’est peut-être ce qui explique l’embrasement de la Guadeloupe après des mesures de restrictions de liberté identiques à celles imposées sur le territoire métropolitain.

Comme en métropole, les soignants sont soumis à l’obligation vaccinale, et le pass sanitaire est exigé pour certaines activités sociales. Les contraintes ne sont pas supérieures, mais leur rejet est plus massif et plus violent. Il existe à cette situation plusieurs raisons et explications à présent bien identifiées. La culture traditionnelle conduit au rejet de la vaccination, qui s’oppose aux médecines « naturelles » privilégiées par la population locale. Les Iliens ont perdu toute confiance dans les autorités à la suite du scandale du chlordécone, ce produit toxique utilisé massivement dans les bananeraies, bien après la preuve de sa dangerosité. Les rumeurs de complot qui ont cours en Guadeloupe comme ailleurs font craindre un empoisonnement programmé sous couvert de protection. C’est irrationnel, mais terriblement ravageur. Ajoutons à cela un chômage massif et une délinquance relativement importante, et l’on assiste à cet embrasement plus ou moins spontané, ces barrages, ces barricades, ces voitures incendiées, qui créent une situation hors de contrôle devant laquelle le gouvernement n’a à opposer que des réponses dérisoires.

Le Premier ministre va recevoir les élus de Guadeloupe ce soir. Nul ne sait, et peut-être pas lui-même, ce qu’il va leur proposer. Et à supposer qu’il arrive à les convaincre de coopérer, quelle influence réelle ont-ils en ce moment sur la population pour réussir à ramener le calme ? Quelles que soient les promesses, la première réponse est déjà connue, et elle consiste à envoyer des renforts de police et à faire appel au GIGN et au RAID, les spécialistes de la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme. Un message très clair de l’état sur la prise en considération des revendications de la population. Une répression massive ne permettra évidemment pas de calmer les esprits. Au contraire, le mouvement est en train de s’étendre en Martinique, et personne ne sait jusqu’où cela peut aller. Les capacités d’empathie et de résolution de problèmes du gouvernement et du président de la République ont déjà montré leurs limites au moment de la crise des gilets jaunes, qui n’a pas été réglée sur le fond et reviendra à un moment ou à un autre. Si l’on veut que les Français ultra-marins acceptent des règles communes avec la métropole, il faut commencer par leur donner les mêmes droits, y compris économiques, et démontrer qu’on ne les considère pas comme des citoyens de seconde zone. Il y a du boulot !