Iel

Branle-bas de combat dans la sphère médiatico-politique ! le dictionnaire le Robert vient d’admettre le pronom neutre, iel, contraction de « il » et de « elle », dans sa version en ligne, en attendant de l’incorporer éventuellement dans sa version papier. La polémique a mobilisé jusqu’au ministre de l’Éducation, qui semble disposer de beaucoup de temps libre en ce moment. Si l’on en croit Jean-Michel Blanquer, ni l’écriture inclusive ni ce néologisme d’usage récent, ne représenteraient « l’avenir de la langue ». Sauf que la question n’est pas là. Il ne s’agit pas ici de la reconnaissance officielle d’un terme, telle que pourrait le faire l’Académie française.

Alain Rey, qui anima le dictionnaire Robert jusqu’à sa mort en 2020, aimait à rappeler que les dictionnaires ne font que constater et entériner l’usage des mots dans la langue. À son sens, il était donc normal et souhaitable que des mots nouveaux soient intégrés à de nouvelles éditions, tandis que d’autres, tombés dans l’oubli, en soient retirés, ne serait-ce que pour faire de la place. Faute de quoi, les dictionnaires s’allongeraient indéfiniment de vocables que personne n’utiliserait plus. Là où j’ai été surpris, c’est que ce nouveau pronom serait de plus en plus utilisé, alors même que la population qui le revendique, car ne se reconnaissant pas dans une désignation exclusivement masculine ou féminine, est quand même assez restreinte. Cela dit, je ne vois aucun inconvénient à ce que le terme figure dans le dictionnaire. L’avenir dira si l’expression perdure et correspond à un besoin. En la matière, c’est l’usage qui déterminera le succès ou non de cette formule. À ce propos, si l’Académie a tranché hâtivement la dispute sur le genre du covid, en lui attribuant arbitrairement le féminin, il est le plus souvent utilisé au masculin, et le pronom « iel » pourrait lui être dévolu.

Pour beaucoup de ses détracteurs, l’enjeu est de dénoncer une fois de plus le supposé noyautage de l’école et de la société par un soi-disant « islamo-gauchisme », dont le dernier avatar serait la dictature du « wokisme » et de la « cancel culture ». Le Figaro magazine, toujours à la pointe du progrès, titrait récemment sur l’endoctrinement des enfants à l’école, ou comment, sous couvert d’antiracisme et d’anticolonialisme, les enseignants inculqueraient une « idéologie LGBT ». Toute ressemblance avec les thèses défendues par le ministre de l’Éducation, qui tente d’imposer son modèle vétuste, archaïque et réactionnaire, ne serait évidemment pas le fruit du hasard. Depuis sa nomination en 2017, Jean-Michel Blanquer n’a pas cessé son travail de sape pour empêcher tout progrès et tenter de mettre au pas des enseignants trop attachés aux valeurs humanistes. À l’usage, on comprend encore mieux la mine déconfite de l’ancienne ministre, Najat Vallaud-Belkacem, quand elle a appris le nom de celui qui lui succédait, et dont elle ne connaissait que trop les thèses.