Ne pleure pas Janette !
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le dimanche 9 décembre 2018 13:39
- Écrit par L'invitée du dimanche
Janette, c’est moi, les années 50, j’ai moins de 10 ans, je suis la huitième enfant d’une famille ouvrière vivant à la campagne. La maison n’a aucun confort, ni chauffage, ni salle de bain, les w.c. à l’extérieur, les ainées sorties d’affaire, aident du mieux qu’ils peuvent une maman courageuse, pour que la suite de la fratrie puisse construire leur avenir.
Presque 70 ans plus tard, retraitée fonctionnaire depuis 20 ans, j’occupe une maison qui m’appartient, bien chauffée, deux salles de bains et une piscine. Une sacrée ascension sociale, possible malgré les difficiles années d’après-guerre, grâce au courage et à la persévérance de tous, grâce aux allocations familiales, et au système de bourse allouée aux plus défavorisés pour continuer l’itinéraire scolaire, mais aussi, grâce à une volonté farouche de ne pas décevoir ceux qui croyaient en moi, cela était possible si l’on s’en donnait la peine, car l’espoir nous habitait.
Qu’adviendrait-il de la même Janette née dans les années 2000, dans le même cadre familial, le même environnement rural, dans un contexte technologique et économique qui n’arrête pas d’étaler dans tous les médias et dans toutes les vitrines, tous ses biens de consommation inaccessibles, générant frustration sur frustration, noyée dans un système scolaire incapable de faire face aux discriminations sociales ? Si on l’interrogeait, aurait-elle un projet et une vision optimiste de son avenir ?
Je n’ai jamais renié mes origines, même je les revendique, je n’ai jamais trahi mes opinions politiques, mais aujourd’hui j’ai honte de pleurer sur la diminution de mon pouvoir d’achat, quand j’entends les témoignages poignants, authentiques et sincères de ces personnes qui en sont à se demander s’ils vont pouvoir nourrir leurs enfants et qui sont prêtes à tout pour se faire entendre. N’en déplaise à Monsieur Cayrol, célèbre politologue, je comprends que les lycéens ajoutent leur colère à celle des gilets jaunes… bien sûr qu’il y a un lien entre ces deux mouvements, bien sûr que les jeunes se sentent piégés par un système scolaire et social inégalitaire, bien sûr qu’ils sont solidaires de leurs parents qui galèrent et qui souffrent de ne pouvoir leur offrir des perspectives d’avenir prometteuses.
Je me suis donné bonne conscience en versant tous les ans mon obole aux restos du cœur et à la banque alimentaire, mais c’est hélas devenu un geste facile presque machinal, j’ai arrêté depuis longtemps de percevoir la réalité de la famille qui allait profiter de mon geste. Faute en est peut-être à cette surcharge d’images, de reportages qui devraient nous fendre le cœur et qui finissent par créer notre indifférence, la seule protection qui nous reste contre l’insupportable.
Aujourd’hui, combien comme moi se sentent démunis, dépassés, par un monde qui glorifie la loi du plus riche ? Je vais, pauvre Pénélope, avoir encore des occasions de pleurer, mais pas sur moi je le jure, je donnerai mes larmes, armes dérisoires, à tous ceux qui ont besoin qu’on les soutienne dans leur lutte pour le droit à une vie digne, c’est tout, hélas, ce que je trouve à leur offrir !
L’invitée du dimanche