Billard à trois bandes

Pendant un temps, je me suis demandé si nous n’avions pas élu à la tête de l’état un travailleur en situation de handicap, pour répondre à l’obligation de fournir 6 % de postes réservés à cet effet. Le président, qui apparaissait déjà comme sourd et aveugle aux difficultés rencontrées par le petit peuple, était également muet sur les solutions à y apporter. Après avoir envoyé au front son Premier ministre pour annoncer des demi-mesures, il s’est fendu d’un communiqué et a chargé son ministre de l’environnement de préciser certains points. En fait, il est peut-être devenu timide, ou il souffre d’un accès de glossophobie, la peur de s’exprimer en public.

Il faut dire que le Premier ministre, en employant le mot de moratoire, outre qu’il a fait exploser le nombre de requêtes sur Google pour en connaître le sens précis, a entretenu une ambiguïté sur les intentions réelles du pouvoir. Un mot proche de l’oratoire, qui n’est pas le fort d’Édouard Philippe en tant qu’art, mais qui exprime bien le fait qu’il ne lui reste plus qu’à prier pour que les catastrophes ne s’enchaînent pas. Contrairement aux apparences, la proposition de suspendre puis de supprimer les taxes sur les produits pétroliers prévues à compter du 1er janvier ne vise pas à désamorcer la colère des gilets jaunes. Les experts ont dû prévenir l’exécutif que ce serait notoirement insuffisant pour dissuader les mécontents de manifester. La meilleure preuve en est que le ministre de l’Intérieur a acté le fait que ce samedi à venir serait le jour de tous les dangers. L’objectif réel est à mon avis de tenter un coup désespéré, en discréditant le mouvement de contestation.

Le pouvoir table sur l’épouvantail des violences pour essayer de couper les gilets jaunes du soutien populaire, qui se maintient à un niveau très élevé, malgré les images qui tournent en boucle sur les chaînes d’information continue. C’est un jeu très dangereux, quand on sait que les forces de police sont sur les dents depuis plusieurs semaines et qu’une bavure pourrait faire basculer l’opinion, déjà hostile au pouvoir. Christophe Castaner ne donne pas une impression de sérénité, tant s’en faut, et il reconnait à demi-mot que la situation est loin d’être sous contrôle, que la stratégie employée jusque-là a échoué et qu’il n’a guère d’alternative à sa disposition. Emmanuel Macron n’a pas de général Massu à qui rendre visite à Baden-Baden comme De Gaulle en 1968, mais la situation n’est pas très éloignée de celle où un recours à l’armée serait la tentation ultime d’un pouvoir vacillant de se maintenir coûte que coûte. S’il s’agit bien d’une partie de billard, alors le premier accroc pourrait coûter bien plus de 500 francs.