Trop peu, trop tard

Selon le grand philosophe et néanmoins humoriste Pierre Dac, « La prévision est difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir ». Tant pis, je me lance. Il y a de fortes chances pour que le Premier ministre annonce un moratoire sur la nouvelle taxation du carburant, prévue au 1er janvier prochain. Je vais donc céder à la tentation de commenter une décision qui n’est peut-être même pas encore prise, mais qui se profile de façon presque inéluctable. Cette mesure est-elle nécessaire ? Visiblement, oui, puisqu’elle a été à l’origine du mouvement de contestation actuel et qu’elle est perçue comme profondément injuste.

Sera-t-elle suffisante ? Manifestement, non ! Tous les observateurs s’accordent à dire que le malaise est plus profond, qu’il remonte loin dans notre passé et qu’il exprime un ras-le-bol des populations s’estimant mal traitées par leurs dirigeants. On se souvient de la « fracture sociale » qui a permis à Chirac de se faire élire en 1995 pour l’enterrer immédiatement après. Le remède était exécrable, mais le diagnostic excellent. L’exigence de justice sociale est au cœur de tous les conflits d’idées depuis des dizaines d’années en France. Lorsque l’état a consenti à lâcher quelque chose dans ce domaine, sur le modèle de la négociation de la rue de Grenelle en 1968, ou de l’accession au pouvoir de François Mitterrand en 1981, il s’est empressé de reprendre de l’autre main, ce qu’il avait concédé de la première. Emmanuel Macron promet de baisser les impôts. Et il le fait, mais pour certains seulement. Dans le même temps, il augmente les taxes, notamment sur les produits pétroliers. Or, chacun sait qu’une taxe, un impôt dit indirect, pénalise lourdement les plus pauvres, qui échappent à l’impôt sur le revenu, mais ne peuvent se soustraire à la TVA qui s’applique aveuglément à tous les produits, quels que soient les revenus.

Un deuxième problème fait obstacle à l’objectif de justice sociale, et c’est la non-affectation des recettes dans le budget de l’état. On a vendu la vignette automobile aux Français en 1956 en leur promettant de financer ainsi la retraite des vieux comme on osait encore le dire à l’époque. Récupérée par le budget global, elle persistera jusqu’aux années 2000 sans que le moindre vieux en voie jamais la couleur. La taxe carbone ne fera pas exception à la règle. Elle est supposée financer la transition énergétique, ce qu’elle fera effectivement, mais en 2016, la plus grande partie des recettes a été affectée au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, illustration parfaite du « moins d’impôt, plus de taxes ». Les Français ne seraient pas opposés à payer la facture pour un monde meilleur, s’ils avaient la certitude que leur argent est bien employé, et que chacun contribue à hauteur de ses finances. Je crains fort que les annonces prévues suscitent encore une fois une grande déception.