La charge de la preuve
- Détails
- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le samedi 20 octobre 2018 10:57
- Écrit par Claude Séné
Jusqu’en 1961 où il fut retiré de la vente, le Thalidomide, un anti-nauséeux, a été prescrit comme sédatif aux femmes enceintes, avant que l’on fasse le lien avec les graves malformations congénitales affectant les bébés soumis à ce traitement. On estime entre 10 000 et 20 000, le nombre de ces enfants « thalidomide » comme on les appelait, nés sans bras ou sans jambes. L’ombre de cette tragédie médicale plane toujours et des agences surveillent les cas de malformation pour éviter le retour de crises de cette nature.
Et précisément, dans trois lieux distincts, dans l’Ain, en Bretagne et en Loire-Atlantique, des cas similaires ont attiré l’attention. Le Reméra, un des 6 registres qui recensent ces cas, a émis l’hypothèse d’une influence des pesticides dans les 7 cas survenus entre 2009 et 2014 dans l’Ain. Aucune preuve n’a pu être apportée de ce lien, mais rien ne l’exclut non plus. Néanmoins, la direction de l’agence Santé Publique France estime qu’il n’y a pas lieu d’enquêter davantage, et critique violemment la directrice du Remera, le registre des malformations en Rhône-Alpes, accusée de vouloir manipuler l’opinion. Faute de pouvoir faire taire la lanceuse d’alerte, voici qu’on veut lui couper les vivres. Emmanuelle Amar est en effet convoquée à un entretien préalable au licenciement qui interviendra en janvier prochain si le Remera ne peut plus payer ses employés, faute de financement.
La vie de lanceur d’alerte n’a jamais été de tout repos, comme peuvent en témoigner Edward Snowden ou Julian Assange. Dans le domaine médical, des intérêts énormes sont en jeu et les laboratoires font le maximum pour préserver leurs parts de marché : rappelons-nous le combat de la « fille de Brest », la docteur Irène Frachon, contre le médiator. L’industrie agroalimentaire et son marché phytosanitaire ne sont pas en reste et les lobbies infiltrent toutes les instances de décision. On peut compter sur leur activisme pour retarder ou empêcher toute étude sérieuse sur les effets néfastes de leurs produits. C’est pourquoi il est indispensable de privilégier le principe de précaution, qui permet d’inverser la charge de la preuve. Les industriels affirment que leurs produits sont sans danger ? Qu’ils le prouvent ! Et qu’ils se soumettent à des contrôles véritablement indépendants. Une condition de plus en plus difficile à remplir du fait de l’interconnexion entre secteur privé et secteur public. Les conflits d’intérêts sont légion et jusqu’au plus haut sommet de l’état. La ministre de la Santé elle-même se dessaisissait récemment du dossier de l’INSERM dirigé par son mari, jusqu’à ce qu’il soit promu Conseiller d’État pour couper court aux polémiques. Notre santé vaut bien une messe, sans doute.