Fusible

Dans les institutions de la 5e république, qui a eu 60 ans cette année, le pouvoir exécutif se partage entre le Président de la République, élu au suffrage universel depuis 1962 et le Premier ministre, nommé par ce dernier, qui conduit la politique de la nation, décidée par lui. De l’entente entre ces deux personnages dépend beaucoup le sort du pays, et la tentation est grande pour le locataire de Matignon de vouloir « traverser la rue » pour devenir vizir à la place du vizir.

Nicolas Sarkozy avait été obligé de préciser que François Fillon n’était que son collaborateur, que c’était lui qui décidait et que le Premier ministre appliquait. Georges Pompidou, puis Jacques Chirac avaient démissionné de leurs fonctions afin de préparer leur candidature présidentielle. C’est pour couper court à toutes spéculations de cet ordre qu’Édouard Philippe a tenu à préciser qu’il n’y avait pas la place de l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre le président et lui. Dont acte. En tout cas pour l’instant, car on sait qu’en la matière l’appétit vient en mangeant. Les résultats du dernier sondage Odoxa en prennent un relief particulier. Si l’on admet que les Français sont conscients d’une pleine unité de vue sur la politique à mener dans le pays, leurs appréciations différentes sur les deux têtes de l’exécutif portent donc sur la personne, la façon d’incarner des idées communes. Et visiblement le style du président Macron a sérieusement du plomb dans l’aile. Quand 55 % des sondés déclarent faire confiance au Premier ministre, ils ne sont plus que 29 % en faveur du président. Ils jugent aussi Édouard Philippe plus compétent et plus proche des gens. Macron conserve sans surprise l’avantage sur l’autorité et le charisme, dont Philippe manque cruellement en effet. Paradoxalement, c’est le président qui pourrait servir de fusible au Premier ministre, au rebours de l’esprit de la 5e république. D’autant que les « petites phrases » d’Emmanuel Macron, qui avaient amusé les Français au début, sont maintenant rejetées, au moins sur la forme, par une nette majorité.

Le remaniement qui tarde à venir est aussi l’occasion de mesurer la notoriété et la popularité des ministres en place. Sur le quarté gagnant d’il y a quelques mois, Nicolas Hulot, Laura Flessel et Gérard Collomb sont partis. Ne reste que Jean-Yves Le Drian, et force est de constater que la plupart des ministres sont inconnus au bataillon, que les avis sont très contrastés sur leur efficacité, aucun d’entre eux ne franchissant la barre d’une majorité souhaitant son maintien au gouvernement. La préoccupation principale des Français est désormais le pouvoir d’achat, et leurs inquiétudes semblent justifiées.