La pêche en latin

J’avoue que j’ai été à deux doigts de devoir me pincer quand j’ai appris que des poissonniers marseillais avaient été verbalisés pour avoir omis d’indiquer le nom latin des poissons qu’ils proposaient à la vente sur le vieux port. Les zélés fonctionnaires de la répression des fraudes n’ont fait qu’appliquer à la lettre une directive européenne, dont la justification, comme souvent, part d’une bonne intention, celle d’empêcher toute tricherie et de vendre du merlu au prix du turbot. Comme trop souvent également, les législateurs communautaires n’ont pas trouvé de moyen plus conforme au bon sens et plus en phase avec la réalité du terrain que d’adopter une mesure bureaucratique impraticable au commun des mortels.

Alors que l’Église catholique, apostolique et romaine, a abandonné à quelques exceptions près l’usage du latin pour la célébration de ses rites depuis le concile Vatican 2, les poissonniers devraient donc apprendre la langue de Virgile et de Jules César pour exercer leur noble métier. Mieux encore, il leur faudra vulgariser cet idiome auprès de leurs clients en étant capables d’utiliser successivement les noms savants et communs des espèces proposées à des acheteurs dont la connaissance du latin « de cuisine » se limite généralement à la lecture des albums d’Astérix. Le parallèle, évident, avec la messe en latin, est cependant éclairant. Pendant des siècles, le rite de l’Église catholique a été immuable. Le latin permettait de rappeler l’allégeance de la communauté au siège romain de la papauté, le Vatican. Connu des seuls lettrés, il participait de la pompe et du prestige de la liturgie. Le fait même d’être incompréhensible pour la plupart des fidèles en faisait l’instrument de la hiérarchie religieuse. En contrepartie, le latin était la langue unique et universelle, utilisée dans les différents pays évangélisés.

L’abandon du latin dans la célébration de la messe était supposé rapprocher l’église de ses fidèles, en leur parlant leur propre langage. Il serait grand temps d’en faire de même pour Europe. Les peuples sont acquis à l’idée européenne par force et parce qu’on évite le plus souvent de leur demander leur avis. Ils sont pratiquants des règlements européens, mais de moins en moins croyants. La faute à un afflux constant de technocratie et de bureaucratie et du manque de projet commun ambitieux luttant pour la réduction des inégalités plutôt que pour une concurrence interne stérile. Force est de reconnaître que ce n’est pas gagné, mais l’idéal européen pourrait bénéficier d’un allié de poids en la personne du président américain, prêt à torpiller ses alliés et les amener ainsi à s’entendre. Ce serait, pour une fois, un bénéfice collatéral.