Goulots d’étranglement

La vaste opération lancée ce matin porte de La Chapelle, dans le nord de Paris, dans le but d’évacuer environ 1500 migrants, installés spontanément à proximité du centre d’accueil officiel de la mairie de Paris dans des conditions indignes, braque à nouveau les projecteurs sur une situation insupportable qui s’installe dans la durée. Les conditions de vie dans cette nouvelle « jungle » improvisée sont tellement difficiles que les centaines d’Afghans, de Soudanais ou de Somaliens qui s’y trouvaient ont accepté sans discuter la proposition d’être transférées dans des structures provisoires en région parisienne, généralement des gymnases.

Cette opération de mise à l’abri en urgence ne règle évidemment rien sur le fond du problème. Depuis leur décision de fuir leur situation de misère extrême due à la guerre ou au dénuement économique, les migrants n’ont généralement qu’une chose en tête : rallier l’Angleterre qu’ils prennent pour l’Eldorado et où ils ont parfois déjà de la famille. Ils ont dû surmonter les pires obstacles, à commencer par la traversée de la Méditerranée, où plusieurs milliers d’entre eux laissent leur vie chaque année. Quand ils parviennent à rejoindre un port italien, ils pensent que le plus dur est derrière eux dans ce parcours du combattant, mais ils sont vite détrompés. La Grande-Bretagne a décidé depuis longtemps qu’elle ne pouvait plus accueillir de nouveaux migrants et s’efforce par tous les moyens de limiter leur entrée sur son territoire. Ils finissent par passer quand même, pour beaucoup d’entre eux, non sans dommages collatéraux. C’est ainsi que le nouveau ministre français de l’Intérieur s’est imprudemment engagé à chasser les migrants de Calais, au nom de la théorie absurde de l’appel d’air.

Une théorie avancée également par les autorités européennes à l’autre bout de la chaine, en rejetant sur les ONG la responsabilité des vagues massives de migrants risquant leur vie par centaines de milliers pour atteindre le Graal européen. Comme trop souvent, on confond l’effet et la cause et l’on casse le thermomètre pour faire tomber la fièvre. L’Italie se trouve en première ligne dans l’accueil de ces populations en transit et s’efforce de les répartir sur son territoire, tout en ne s’opposant que mollement au franchissement de la frontière avec la France à Vintimille. De là, elles rejoignent Paris ou Calais, qui n’en peuvent mais. Et l’on voudrait nous faire croire qu’il suffirait d’expliquer la réalité des faits pour dissuader ces désespérés prêts à tout, y compris laisser leur vie dans l’aventure, de tenter leur chance ? s’il s’agit pour eux d’aller respirer un air de liberté, doit-on pour autant les étrangler pour s’en débarrasser ? Ce n’est pas digne de la France.