Au bord de la crise de nerfs

L’économie française serait-elle tout près d’une crise sociale dont les signes avant-coureurs s’appelleraient Auchan, Michelin ou Coordination rurale ? Les deux premiers ont annoncé des plans sociaux qui se traduiront par des suppressions de postes massives, tandis que le syndicat agricole affute ses armes pour une campagne de contestation rappelant les heures les plus difficiles du mouvement des gilets jaunes. Il existe des facteurs objectifs d’inquiétude. Le « quoi qu’il en coûte » est officiellement terminé, et les emprunts garantis par l’état arrivant à échéance, il faut trouver les ressources pour les rembourser.

Après le Covid, on s’attendait à des fermetures massives et un nombre record de défaillances d’entreprises, elles n’ont pas eu lieu. Mais ce n’était que partie remise, et celles que les économistes appellent des entreprises « zombies » vont devoir mettre finalement la clé sous la porte. Ce qui est plus surprenant pour les non-spécialistes dont je fais partie, c’est qu’une entreprise florissante telle que Michelin annonce la fermeture de ses sites industriels de Vannes et de Cholet. En 2023, le groupe a engrangé un résultat opérationnel record avec 3,6 milliards d’euros et généré un bénéfice net de 1,98 milliard, en légère baisse sur 2022. Soit beaucoup plus que les aides de l’état accordées dans le cadre des crédits pour la recherche et la compétitivité, qui ne seront pas remboursables, même si Michel Barnier a promis d’en évaluer l’usage. La situation d’Auchan est tout aussi paradoxale avec ses 32 milliards de chiffre d’affaires et 1,5 milliard de bénéfice pour le seul premier semestre 2024. Cela ne doit pas suffire à la famille Mulliez, actionnaire principal du groupe, qui annonce 2389 suppressions de postes. Là aussi, les aides publiques à fonds perdu, près de 500 millions entre 2013 et 2018, ne seront jamais rendues.

Selon la CGT, 150 000 emplois sont menacés et de nombreux licenciements secs sont à redouter. Les entreprises les plus prospères ne sont pas épargnées, elles profitent de l’effet d’aubaine avec des crédits indifférenciés, dont l’utilité n’est pas évaluée ni conditionnée au moindre engagement sur l’emploi. Michel Barnier, si on lui accorde le bénéfice d’une bonne volonté, ne fait pas différemment de ses prédécesseurs, en tâchant de calmer les colères les plus visibles et en colmatant les brèches les plus criantes. Il va avoir l’occasion de faire usage des talents de négociateur qu’on lui accorde généralement, en répondant à la grogne paysanne qui n’a obtenu pour le moment que des promesses assez vagues. Presque tout le monde sera prêt à l’encourager dans le refus de l’accord avec les pays du Mercosur, mais la France pèsera-t-elle suffisamment dans la position de l’Union européenne ? Rien n’est moins sûr.