Qui perd perd

Certains se souviennent peut-être de ce jeu fictif inventé par Coluche pour démontrer la forme d’escroquerie que représentait à son époque la grande illusion des jeux télévisés, qui permettaient au grand public d’espérer voir un jour leurs soucis financiers s’évaporer comme par enchantement. En effet, après plusieurs mauvaises réponses, non seulement le candidat ne gagnait pas la somme qu’on lui avait fait miroiter pour l’appâter, mais il pouvait y perdre le peu qu’il possédait encore. C’est à ce sketch que j’ai pensé en lisant un article publié récemment sur le Journal du Net, et qui répond aux critères nécessaires pour inciter le lecteur potentiel à franchir le pas du premier clic, qui, pour certains sites, correspond à une porte d’entrée pour diffuser des kilomètres de publicité.

L’affiche, accrocheuse à souhait, annonçait : « Vous êtes un perdant du système social français si vous gagnez plus que cette somme chaque mois ». Notez au passage l’universalité potentielle de cette affirmation. Soit vous êtes au-dessus de la somme fatidique, soit vous êtes en dessous. Dans les deux cas, cela vous concerne. Suprême habileté pour noyer le poisson : la contradiction de la formulation où celui qui gagne plus est le perdant. En réalité, l’ambiguïté est voulue et c’est même le fond de l’idéologie sous-jacente à ce genre de littérature. De quoi s’agit-il ? Le journal du Net s’appuie sur une étude de l’Insee qui démontre que 57 % des Français bénéficient plus qu’ils ne contribuent au système social « à la française », 43 %, à l’inverse cotisent davantage qu’ils ne reçoivent. Ce qui, à vrai dire, ne constitue pas un scoop, ni une surprise, puisque c’est précisément l’objectif de notre société que de permettre une redistribution et une certaine correction des inégalités de revenu. Faire passer les perdants pour des gagnants et vice-versa relève en réalité de la malhonnêteté intellectuelle et procède d’une véritable démagogie en faveur des classes moyennes, une catégorie où l’on a tendance à ranger tout ce qui est au-dessus du seuil de pauvreté, en mélangeant joyeusement des situations très disparates.

L’étude prend en compte les revenus, mais aussi la composition du foyer et l’utilisation des services publics, ce qui lui confère une validité certaine, tant que l’on ne la dévoie pas pour inverser ses résultats. Il reste vrai que les disparités subsistent en faveur des plus fortunés et que le sort des victimes de revers de la vie est loin d’être enviable. À travers les conclusions de l’étude, on entend la petite musique du chacun pour soi, comme lorsque la sympathique Dame de Fer, Margaret Thatcher, sommait l’Europe de lui rendre sa contribution au penny près sous forme de subventions, sous peine de quitter l’union, ce qui arrivera quand même plus tard.