Inéligibilité

C’est le mot du jour, en passe de remplacer les chaussettes de l’archiduchesse, tant il se révèle un piège pour les politiques et les commentateurs, confrontés à cette figure imposée de l’actualité et au procès en cours concernant la rémunération des assistants parlementaires du Rassemblement national auprès des ses députés européens. L’heure était hier aux réquisitions du parquet, qui allaient, sans surprise, être assez sévères, au-delà des prévisions les plus pessimistes de la principale intéressée, Marine Le Pen. Elle se sent clairement visée personnellement par la sanction réclamée de 5 ans d’inéligibilité, qui l’empêcherait de se présenter à l’élection présidentielle prévue en 2027.

Ce qui permet à Marine Le Pen de se victimiser, c’est la forme exécutoire de cette sanction si le tribunal suit les réquisitions demandées. Le parquet demande en effet que la peine, si elle est prononcée, soit exécutée provisoirement sans délai, même en cas d’appel de la prévenue, qui serait très probable. La ligne de défense de Madame Le Pen est assez simple. Plutôt que d’espérer un arbitrage favorable sur le rôle effectif des assistants parlementaires payés par l’Union européenne pour des tâches apparemment partisanes, elle préfère crier à l’arbitraire et accuser la justice de vouloir la saborder pour des raisons politiques. Une stratégie éminemment risquée, destinée à enjamber le rôle de l’institution judiciaire pour en appeler directement au peuple. Elle a reçu un soutien inattendu en la personne de Gérard Darmanin, ancien ministre de l’Intérieur, qui trouverait « choquant » que Marine Le Pen soit jugée inéligible. Ce serait donc uniquement dans les urnes et non ailleurs, qu’il faudrait la combattre. C’est méconnaître gravement les aléas de la vie politique, où ce ne sont pas toujours les plus vertueux ou les plus compétents qui gagnent. L’exemple le plus emblématique nous en est fourni par le couple Balkany, constamment élu ou réélu malgré des condamnations ne semblant pas gêner les électeurs.

Si l’on pousse ce raisonnement à son terme, on prend le risque de permettre à des tribuns éloquents de s’emparer du pouvoir et de ne plus le lâcher, devenant de fait des citoyens de première zone, pouvant agir impunément à leur gré. Le suffrage populaire, fût-il universel, n’excuse ni ne justifie pas tout, en vertu d’une onction supposée liée à une soi-disant clairvoyance du peuple. Nous ne savons que trop bien à quel point un peuple peut être manipulé et abusé. L’histoire des dictatures regorge d’exemples de cette nature. Ceux qui crient à une justice d’exception pour lui préférer l’absolution électorale devraient y réfléchir à deux fois. Il n’est de justice qu’équitable et impartiale, au moins dans ses intentions. L’inéligibilité fait désormais partie des sanctions possibles et c’est parfois la meilleure protection de la démocratie contre le populisme.