La guerre des mots

François Mitterrand, en reconnaissant l’échec de la lutte pour aboutir au plein emploi, s’était écrié : « contre le chômage, on a tout essayé ! » Ce qui n’était pas tout à fait vrai, mais témoignait des efforts déployés depuis son accession au pouvoir, et aussi du fait que lorsque les politiques ne sont pas efficaces, il reste toujours le pouvoir des mots. Les faits-divers se suivent et se ressemblent. Des fusillades éclatent régulièrement, faisant des victimes parmi les trafiquants de drogue et aussi de simples citoyens passant au mauvais endroit au mauvais moment, ou même des enfants.

Les opérations « place nette » déployées à grand renfort de publicité dans les quartiers sensibles ont fait long feu, malgré une campagne publicitaire massive. Passant outre leurs divergences, les ministres de l’Intérieur, Bruno Retailleau et celui de la Justice, Didier Migaud, se sont rendus de conserve à Marseille pour annoncer un énième plan de lutte contre le trafic de drogue. Leur accord de façade n’augure pas grand-chose de nouveau sous le soleil, sinon des mesures déjà prévues sous le gouvernement précédent et très en deçà des besoins réels. C’est dans le vocabulaire que résident les initiatives les plus marquantes. Le ministre de l’Intérieur, notamment, perpétue une tradition bien établie depuis 2005, du temps où Nicolas Sarkozy s’adressait ainsi aux habitants d’Argenteuil : « vous en avez assez de cette bande de racailles ? Eh bien on va vous en débarrasser. » Promesse toujours non tenue à ce jour. Bruno Retailleau lui aussi forge son néologisme en évoquant les « narcoracailles » sans que cela semble les impressionner outre mesure.

Son autre imprécation favorite, c’est d’évoquer la « mexicanisation » qui guetterait la France si l’on n’y prend pas garde. L’idée, martelée de manière répétitive, finit par imprégner l’opinion, au point que 7 Français sur 10 la tiennent pour vraie et déclarent la redouter. Cela ne fera en rien reculer le trafic, mais permettra de justifier d’éventuelles restrictions aux libertés individuelles et détournera l’attention devant le manque de résultats des mesures mises en place. Si la situation actuelle en France est préoccupante, elle est sans commune mesure avec celle du Mexique, où l’on déplore plus de 30 000 morts par an, contre 315 en France, ce qui est déjà trop, évidemment. Il ne suffira pas de rajouter le préfixe « narco », ou le suffixe « racaille » au début ou à la fin des mots pour faire disparaître le trafic et ses dommages collatéraux. Le dispositif présenté par les ministres brille surtout par son côté incantatoire, et ne permet pas d’empêcher la plus grande partie des produits de pénétrer dans notre territoire, condition nécessaire à des résultats concrets.